Survivre avec les loups – Avis +

« Je vis loin de la foule et des villes parce que j’ai horreur des humains. Je survis en faisant semblant d’être un humain et il arrive trop souvent que je n’y parvienne plus. On me dit anormale. Pourtant j’ai vu des gens normaux détourner les yeux pour ne pas avoir à intervenir devant une injustice. Des passifs et des silencieux, des aveugles et des sourds. Je ne guérirai jamais. On ne guérit pas d’une enfance comme la mienne »

Misha Defonseca

Avis d’Enora

La vie de Mischke, petite fille juive de sept ans bascule en 1941 lorsque ses parents sont arrêtés à Bruxelles et déportés. Le cocon d’amour dans lequel elle avait grandi, éclate, la laissant seule au milieu d’étrangers avides et calculateurs « On la gardera, si les alliés gagnent la guerre, on nous félicitera d’avoir sauvé une juive. Si les allemands gagnent, on la dénoncera, pour se faire bien voir ». Humiliée, rejetée, malmenée, elle trouvera auprès du grand-père un peu de chaleur humaine. Il lui enseignera la géographie, le cycle du soleil, partagera avec elle sa vision pessimiste de l’humanité et surtout lui fabriquera une boussole dans un petit coquillage : cette boussole qui indique comment aller à l’Est, l’Est où ses parents ont été déportés, l’Est vers lequel elle décide une nuit de partir.

Commence alors pour Mischke un périple de plus de trois ans qui lui fera parcourir près de 3.000 kilomètres « On m’a pris mes parents, on m’a volé ma mère…je marche vers le lever du soleil, vers l’Est, là où est ma mère ». Fuyant les hommes elle n’aura pour seuls compagnons que la souffrance, la fatigue, le froid, la faim, les nuages auxquels elle parle et quelques chiens errants avec lesquels elle échange tendresse, caresses et victuailles. Les pieds meurtris, elle vole continuellement des chaussures, toujours trop grandes, toujours trop douloureuses ; encore maintenant Misha empile dans son sous-sol des chaussures neuves par centaines comme si elle avait à marcher le restant de sa vie. De même elle a entassé dans son grenier des provisions et des couvertures par dizaines car jamais ne se sont apaisées les sensations de souffrance « J’aurais froid jusqu’à ma mort. Et je continue d’avoir faim ». Elle collectionne les couteaux aussi, rappels d’un autre traumatisme, symboles de défense et de vengeance, compagnons de la peur.

Deux fois au cours de son périple, elle rencontrera des loups. Une louve qui la protégera, la nourrira, la fera accepter à son compagnon. Une louve que l’enfant baptisera Maman Rita. A sa mort quelque chose se brise à jamais dans le cœur de la petite fille « L’amour est mort…ma vie est faite de faim et de haine… survivre c’est ne pas penser qu’on survit ». Après une courte intrusion dans le ghetto de Varsovie, Mischke rencontre une meute dont elle partagera la vie un hiver. Ils la sustenteront, la soigneront, la défendront et iront même jusqu’à lui donner le rôle de femelle de garde auprès des petits.

Arrivée en Ukraine à l’hiver 44, elle décide de retourner en Belgique, persuadée que ses parents sont revenus chez eux. Elle y arrivera fin 45 et sera recueillie par des sœurs catholiques. On niera son identité (Mischke ne se souviendra jamais du nom de sa famille, ni de sa date de naissance), on niera son histoire. Il lui faudra cinquante ans pour pouvoir mettre en mots la blessure qu’elle a gardée au fond d’elle-même.

Misha Defonseca livre là un témoignage d’autant plus bouleversant que l’on sent sa souffrance intacte cinquante ans après. On ne sort pas indemne de la lecture de son récit et on n’en sort pas très fier non plus de faire partie du genre humain. Car quelle espèce animale à part la nôtre est capable de faire autant de mal à ses petits ? Ce sont les loups qui l’ont empêchée de sombrer dans la folie et dans son livre des passages magnifiques nous montrent bien comment ils l’ont aidée à construire sa force morale et physique grâce à cette parenthèse d’amour qu’ils lui ont offert dans l’enfer humain. Elle dit d’ailleurs qu’encore aujourd‘hui elle ne sent pas en confiance avec les hommes (elle vit isolée avec son mari entourée de 23 chats, 2 chiens et… 2 crabes). Mais malgré ses blessures elle a su garder une capacité d’amour qui force le respect « Je crois au pouvoir de la bonté, au pouvoir de la tolérance, au pouvoir d’une main tendue, au pouvoir de la nature, en tout ce qui est beau, l’honnêteté, simple, gai et les yeux qui ne trompent pas ».[[ interview par Serge Scotto pour Le Mague]]

Fiche Technique

format : poche
Pages : 282
Editeur : Pocket Jeunesse
Collection : Jeunes adultes
Sortie : 4 mars 2004