Le Promeneur du champ de Mars – Avis +

Le président (Michel Bouquet) demande à un jeune journaliste, Antoine (Jalil Lesper) d’écrire un livre sur les derniers mois qu’il lui reste à vivre en tant que président. Le jeune homme est fasciné par cet homme vieillissant, hanté par la mort. Une seule chose le chagrine, son passé vichyste. Alors, il se rend à Vichy pour tenter de comprendre et sympathise avec une jeune et jolie bibliothécaire d’origine juive, Judith (Sarah Grappin).

Le nom du président n’est jamais cité, mais tout le monde comprend qu’il s’agit de François Mitterrand. Le film, réalisé par Robert Guédiguian (dont c’est la première adaptation littéraire) est d’ailleurs inspiré du livre de Georges-Marc Benamou (qui a lui-même co-écrit le scénario avec Gilles Taurand) : Le dernier Mitterrand (le titre du livre est plus explicite).

Mais plus qu’un réel film politique (bien que tous les faits se rapportent à la réalité des derniers mois à la présidence de François Mitterrand), on assiste ici à la confrontation d’un homme veillant avec la lutte contre la maladie et la mort qu’il a réellement inserré de son vivant. Il l’a préparée et elle ne lui fait pas peur et le spectateur est bouleversé.

La première chose que montre le président à Antoine (Jalil Lespert) est la cathédrale de Saint-Denis avec les gisants. Cette scène est essentielle et sera rappelée plus tard.

En effet, c’est dans un cimetière (lieu non trouvé par hasard !) que le président raconte à Antoine une anecdote au sujet de Jean-Sébastien Bach qui, dans sa vie, venait de vivre un grand malheur : « Tout le monde se serait effondré, mais c’est à ce moment qu’il écrivit « Jésus que ma joie demeure ! »

On retrouvera plus tard le thème de Jésus que ma joie demeure, mais cette fois dans une église de Bretagne. Le président s’allonge au pied du choeur de la petite église et écoute ce thème de Bach, heureux. Il se met en position des gisants de la cathédrale de Saint-Denis. Il a rejoint les plus grands dirigeants de France… de son vivant !

Cette scène m’a bouleversé. j’étais au bord des larmes. Moi qui croyais que « Jésus que ma joie demeure » était une musique gaie et paisible. Maintenant, quand je l’entendrai, je penserai aux malheurs de Jean-Sébastien Bach et à cette scène où le président approche la mort.

Michel Bouquet est grandiose. Sans vouloir singer Miterrand, il lui donne une dimension épique fantastique. Jalil Lespert (découvert en 2000 dans « Ressources humaines » de Laurent Cantet) lui donne la réplique avec brio. Il est, comme le spectateur, à la fois fasciné et horrifié par le cynisme de ce personnage, mais qui restera dans l’histoire (et il le sait). Le film m’a autant ému que Cet amour-là de Josée Dayan où un jeune étudiant (Aymeric de Marigny) se faisait volontairement vampiriser par un monstre sacré, l’écrivain Marguerite Duras (Jeanne Moreau, formidable). Ici, le monstre, c’est François Miterrand, et sa victime consentante, c’est Antoine, journaliste inspiré par Georges-Marc Benamou.

Le film est à dominance grise, comme la couleur de la France (selon le président) et formidablement bien écrit. On aimerait apprendre par coeur chaque réplique.

Ainsi, dans le cimetière, le président dit à Antoine : « Vous êtes trop sentimental. Il faut apprendre la passion de l’indifférence ! »

François Miterrand était un grand littéraire, un homme du XIXe siècle, et il le dit lui-même dans le film, donnant à celui-ci un côté suranné qui m’a séduit. On dirait même un film en costume, alors qu’il se passe à la fin des années 1990 !

Bref, vous l’aurez compris, je suis enthousiaste de ce très grand film, la première réussite d’un film français pour l’année 2005.