La révolution numérique en question

Pourquoi ce texte
Ce texte exprime la vision que j’ai des questions relatives au monde numérique. Il les aborde d’emblée par un sujet très large qui est de savoir si oui ou non, internet et le numérique en général constituent une révolution.

La réponse fait largement appel aux théories de l’information et de la communication et prétend offrir une cohérence d’ensemble qui me semble faire défaut. Les recours théoriques qu’elle invoque peuvent également être utilisés pour analyser et décrire bien d’autres sujets plus précis dans le même domaine.

En conséquence, il s’agit autant d’apporter un éclairage à une question que de poser un cadre théorique applicable à nombre de débats afférents.

L’argumentation emprunte un parcours théorique sans doute un peu vain. La prétention de sa portée est tellement vaste, surtout quand on la compare à la façon dont la sociologie se pratique aujourd’hui que le propos en devient prétentieux mais il n’en demeure pas moins référencé et sans doute peu abordable pour un parfait novice. Puisse-t-il malgré tout faire sens pour quelques lecteurs particulièrement patients ou masochistes.

La révolution numérique
Une idée court. Selon elle, Internet et les technologies du numérique représentent une révolution considérable. Pour Benjamin Bayart par exemple, internet est une révolution sociale à la hauteur de celle de l’imprimerie en son temps. Pour enfoncer le clou, les promoteurs de la répression à tout crin de la copie numérique sont considérés par lui et par d’autres comme des « moines copistes ».

L’idée ainsi avancée est que l’imprimerie a rendu possible une série de contestation de l’ordre établi et de progrès technologiques. Sans imprimerie, pas de réforme, ni de renaissance, ni de lumières… Cette idée est frappante mais elle présente deux points faibles, d’une part elle conserve l’adversaire dans une position purement conservatrice, d’autre part elle donne le vertige par son ampleur. Il s’agit d’une affirmation séduisante mais elle renvoie à quelque chose de si vaste que l’argument risque de se perdre dans la prétention de sa portée historique.

Médias et sociologie, le pont jeté par Mc Luhan
L’idée consistant à considérer qu’un média comme Internet puisse déterminer profondément une société n’est pourtant pas complètement absurde. Mc Luhan affirmait bien avant l’avènement d’Internet accessible au grand public[[Et même l’année de naissance d’Arpanet, en 1968 : Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, Ed. Seuil, coll. Points, 1968]] que les formes de médias de communication (il pensait au téléphone, à la radio et à la télévision) déterminent les organisations sociales. La façon dont on échange l’information rend possibles ou au contraire impossibles certaines organisations. De la même façon, ces médias influent sur les représentations du monde lui-même. La lecture de Mc Luhan n’est pourtant pas très éclairante car elle parle d’un monde qui n’est pas celui du numérique et des réseaux mais aussi parce qu’il sa lecture m’a laissé bien incapable d’y trouver des mécanismes sociaux spécifiques et convaincants.

Comme média on le sait bien, Internet et les technologies numériques en général possèdent quelques caractères inouïs. Ainsi, ils permettent à chacun de toucher potentiellement le monde entier mais aussi de dupliquer et de diffuser l’information numérique sans perte de qualité et pour un coût négligeable. Internet est un anti mass média.

Ce qui initialement, au travers de la télévision ou de la radio présentait un coût d’entrée élevé et une rareté des canaux (les fréquences d’émission) est désormais accessible à tout le monde ou presque. Le paradigme communicationnel change radicalement.

Comment démontrer pourtant qu’il a une influence si forte ? Cette comparaison n’est-elle pas le reflet d’un enthousiasme naïf ? Entre les considérations relevant de la théorie des médias de Mac Luhan[[Au delà de l’idée séduisante avancée, la lecture de «Pour comprendre les médias » m’a semblé guère éclairante sur ce lien entre médias et organisation sociale c’est pourquoi je ne ferais pas appel à ses théories au delà de la mention de cette idée.]] qui se prononce sur un agrégat très large et purement conventionnel nommé « société » et la foule des pratiques concrètes et observables des internautes il y a un monde.

Pour se prononcer sur l’importance de la potentielle révolution internet et numérique, il nous faudrait donc invoquer une première représentation qui permette de faire le lien entre l’expérience de terrain de l’individu et le fonctionnement du collectif et une seconde qui fasse le lien entre la communication et l’ordre social et parvenir à relier les deux. C’est l’objet de ce texte.

Discipline et théories des sciences de l’information et de la communication
Ce grand écart est envisageable avec un double recours théoriques : Michel Foucault d’une part et certaines théories de l’information et de la communication d’autre part.

Foucault découvreur de la discipline
Foucault décrit dans une bonne part de son œuvre le passage de la société d’ancien régime à la société moderne. Son livre Surveiller et Punir s’intéresse tout particulièrement à ce basculement.

Selon Foucault, la principale invention de l’époque est la discipline. Il la décrit comme une technique de micropouvoir, c’est à dire une organisation sociale qui localement, à l’échelle des individus, permet un pouvoir sur les corps et sur les comportements. C’est ce qui fait qu’une organisation d’individus abat plus de travail que la somme des travaux individuels dont chacun est capable. C’est aussi un modèle de pouvoir hiérarchique qui permet un contrôle plus systématique et généralisé bien utile pour faire marcher droit chacun des individus composant un collectif.

La discipline fonctionne par la décomposition des agrégats en éléments simples. Alors que sous l’ancien régime on appartient à son village, sa profession et sa famille, la discipline travaille sur l’individu. La discipline l’isole, le surveille, l’évalue, décompose ses mouvements, chronomètre ses temps d’action au travers d’une grille d’évaluation standardisée. En bref, la discipline a inventée ces cases maudites dans lesquelles on veut nous faire rentrer.

Le panoptique
Michel Foucault trouve dans le Panopticon de Bentham, l’idéal du modèle disciplinaire chez Foucault. Il s’agit d’un modèle de prison qui se présente sous la forme d’un bâtiment annulaire comportant des cellules dans son épaisseur et au centre, une tour avec un seul gardien. Celui-ci occupe donc une position depuis laquelle il peut voir n’importe qui, n’importe quand. Aucun des faits et gestes d’un prisonnier ne peut lui échapper car, les grilles de sa cellule laissent passer la lumière de part en part et ne lui offre aucun refuge au regard de son gardien. Les prisonniers en revanche sont isolés les uns des autres mais également du gardien dont la casemate est conçue pour que les prisonniers ne sachent pas s’ils sont effectivement observés, ni même si elle est occupée. L’observation est à sens unique. Sous une surveillance constante le prisonnier ne peut alors plus adopter de comportement déviant.
Le raffinement ultime du modèle est que dès lors que le prisonnier croit qu’il est constamment observé ou même sait qu’il est assurément observable, il adopte un comportement adéquat sans qu’il ne soit plus nécessaire de l’observer effectivement. Le contrôle du corps de la discipline est alors intériorisé et devient également un auto-contrôle de l’esprit.

Ce modèle disciplinaire à la Foucault se retrouve en dehors de la prison, notamment dans toutes les institutions totales[[Selon l’expression utilisée par Erving Goffman]] : hôpitaux, casernes, écoles, usines… Le système hiérarchique, la division du travail, l’évaluation statistiques, la vidéo surveillance relèvent de la même démarche.

La discipline passe par l’observation des individus en lieu et place des agrégats traditionnels de la société d’ancien régime tels que la famille, le village ou la corporation. L’individu n’est plus considéré comme un constituant organique d’un ensemble qui le dépasse, il est considéré pour lui-même comme objet technique, à qui on prescrit des comportements, des gestes et non plus la mise en œuvre d’un talent qui lui serait propre et qui lui permettrait d’atteindre un résultat sans que l’on sache comment. La chose paraît naturelle aujourd’hui pour une bonne partie, au moins pour la référence à l’unicité individuelle mais il s’agit pourtant d’une évolution sociale. A titre d’illustration, Foucault rapporte que sous l’ancien régime, le bannissement (c’est à dire de ne plus être membre de rien) était une punition bien pire que nombre de mutilations, il n’y avait guère que la peine de mort pour le surclasser.

Foucault accorde une grande importance à la notion d’examen dont la polysémie révèle la pertinence : On examine un dossier administratif, passe un examen pour valider l’accession à un grade ou un diplôme on passe un examen médical… L’examen, l’évaluation de chacun, permet de construire un monde pilotable avec un certain nombre d’indicateurs réduits qui simplifient un objet trop étendu pour être connu par une poignée d’individus et trop complexes pour être compris dans sa totalité.

La dimension communicationnelle de la discipline
On peut considérer l’examen décrit par Foucault comme une production de savoir. Codifié et mis en forme il devient une construction d’informations et plus précisément un encodage standardisé de données générées à partir de protocoles de tests spécifiques. En conséquence, l’information produite à partir d’un terrain est cohérente, comparable, compilable au risque d’être réductrice et absurde. On peut mesurer la productivité de tous les ouvriers et les comparer entre eux, on peut définir quel est le meilleur élève ou classer des malades mentaux dans des mêmes catégories de pathologies.

Cette construction de données comporte également une part communicationnelle en ce qu’elle est le monopole des institutions. Le malade n’examine pas son médecin, le fou ne se prononce pas sur la santé mentale de son thérapeute, l’élève ne mesure pas la performance de son professeur[[C’est sans doute dans ce domaine que le principe est le moins respecté. Il n’en demeure pas moins que la tendance à l’évaluation par les étudiants de leur formateur est une tendance récente et soulève de sérieuses réticences chez les enseignants. La question des critères d’évaluation se posent légitimement dans des contextes d’expertise/profanes et plus encore dans les rapports d’autorité.]]. Plus encore, il n’a aucune autorité à juger ses pairs. Si les notes peuvent effectivement être connues des uns et des autres, cela vise plutôt à alimenter une compétition sur un terrain défini par une évaluation externe et finalement auto alimenter le fameux micropouvoir.

Discipline et communication cybernétique
Ces principes disciplinaires règnent partout dans le monde occidental et au-delà. André Gorz renvoie ainsi dos à dos les blocs capitalistes et soviétiques du XXème siècle en constatant que dans un cas comme dans l’autre, les ouvriers étaient soumis aux mêmes méthodes d’exploitation.

Je trouve ici le lien nécessaire avec une théorie de le communication. Les principes disciplinaires correspondent très bien aux mass médias que nous connaissons (presse, télévision, radio, cinéma…) et dont parle en grande partie MacLuhan.

L’imprimerie en premier lieu a permis de diffuser un certain savoir dans une relation directe à sens unique. L’auteur au travers de l’édition touche chacun de ses lecteurs séparément alors que ceux-ci ne disposent pas de moyens comparables, tant pour exprimer leur propre point de vue que pour discuter entre-eux du texte diffusé. Il y a pour imprimer et diffuser des barrières tant de coûts que de filières de distribution. Ce modèle se retrouve avec tous les grands médias.

Le monde des sciences de l’information et de la communication distinguent un modèle tout à fait adapté à ce fonctionnement qui est celui de la communication cybernétique. Première théorie de la communication il a été pensé par des ingénieurs télécom et se caractérise par une séparation des rôles et un séquencement du processus de communication. L’émetteur encode un message, le transmet à un récepteur qui le décode. Une boucle de rétro-action aussi appelée feed-back optionnelle permet de s’assurer que le message a été correctement transmis.

On peut tout à fait appliquer ce modèle aux mass-médias qui certes s’appuient sur une infrastructure matérielle typique mais étendent les rôles d’émetteur et de récepteurs et le séquencement du processus également au niveau social. Ainsi, on distingue les producteurs du public, les études d’audience font office de boucle de rétroaction, le message est appelé « contenu » et les services de « com » et de marketing veillent à ce qu’il soit encodé et décodé de la façon voulue par l’émetteur du message.

De ce point de vue, l’imprimerie à caractère mobile permet l’émergence de la discipline décrite par Foucault parce qu’elle instaure une communication de masse à sens unique, d’une information de référence, que ce soit la parole divine écrite dans un livre ou « vu à la tv » bien plus tard. En raison de sa difficulté d’accès elle permet l’instauration d’un amont et d’un aval, d’un contrôle de la source par les élites. Elle n’est pas tant un outil de co-munication que de transmission, un outil particulièrement adapté à ce que l’on appelait propagande avant que le terme ne soit galvaudé par l’usage qu’en ont fait les sociétés totalitaires du 20ème siècle.

Une forte proximité se dégage donc entre le modèle de communication cybernétique et la discipline décrite par Foucault et qui caractérise la modernité.

La rupture communicationnelle d’internet
Internet rompt radicalement avec ce modèle de communication de masse à la fois unidirectionnelle et en râteau. On retrouve une forme de communication riche et au minimum bijective. Elle est en outre matériellement et financièrement accessible au plus grand nombre tant pour recevoir que pour émettre[[La distinction entre ADSL et SDSL fait à ce propos grincer les dents des informaticiens qui connaissent bien le sujet des réseaux.Il n’y a aucune raison technique pour que l’upload soit inférieur au download. L’opportunité commerciale de vendre beaucoup plus cher le SDSL a motivé ce bridage fonctionnel, acceptable pour le public en raison de la prégnance du modèle cybernétique. ]], pour peu que la notion d’émetteur et de récepteur ait encore un sens.

Les technologies numériques facilitent également la production, il est désormais bien moins cher d’enregistrer de la musique, de monter des films ou de développer des photos ou d’éditer un livre. L’information elle-même s’organise désormais de façon hypertextuelle, le phénomène « du petit monde » (ou des 6 degrés de séparations) se retrouve tout aussi bien dans les sociétés humaines que sur le web. On peut désormais faire des recherche par mots clé et non plus par la structure bibliographique conventionnelle, l’information circule également par réseau de relation, pour le côté sérieux, une question sur la bonne liste de discussion ou le bon forum est bien souvent le meilleur moteur de recherche existant, pour le reste, le bouche à oreille propulse des vidéos, des images, parfois même de simple propos d’un forum au centre de l’attention de millions de personnes en quelques heures. Elle se rapproche bien plus en cela de la communication naturelle entre individus.

Internet et communication orchestrale
De la même façon que les mass médias peuvent être associés à la théorie de communication cybernétique, la communication par internet gagne à être rapprochée de la communication orchestrale, théorie portée par l’école de Palo Alto. Celle-ci se distingue nettement du modèle cybernétique par l’absence de séquence des échanges et de la définition de rôles strictement définis que sont l’émetteur et le récepteur. La communication selon l’école de Palo Alto est un processus d’interaction entre plusieurs parties, les échanges y sont tellement intriqués que distinguer une séquence de communication n’a plus grand sens. Une part de la communication est volontaire et consciente, une autre part est involontaire, voire non consciente. La posture, les gestes et les regards pèsent très lourd dans la communication inter-individuelle. C’est par leur échange que la communication se fait. L’ensemble du comportement est porteur d’informations sur plusieurs niveaux en même temps et passe autant une information qu’elle suscite un comportement en retour. Il s’agit un définitive d’un processus de co-construction, un mouvement réciproque en temps réel.

Information, communication et sens
La théorie orchestrale se distingue également en considérant le sens comme le fruit du travail d’interprétation de chacun. Il n’est pas contenu à priori dans un éventuel message encodé selon une norme précise. Chacun produit le sien en temps réel, en réponse à un certains nombre de stimuli externes. Ainsi, la communication est comparé à un orchestre qui joue une même partition et dont les musiciens interprètent chacun le morceau en se calant mutuellement les uns sur les autres.

Cette dissociation présente une conséquence fondamentale : l’information n’a pas de réalité pour elle-même. Dès qu’elle devient intelligible, c’est qu’elle fait l’objet d’une mise en forme, d’une communication et d’une interprétation nécessairement locale.

Ainsi, les trous et les bosses à la surface d’une galette de plastique ne sont que des trous et des bosses tant que le disque n’a pas été introduit dans le lecteur idoine qui permettra de savoir si ils résultent du hasard où s’il permettent effectivement une communication intelligible[[ L’inintégibillité pourrait tout aussi bien résulter de la non maîtrise de la langue dans lequel ce message est distribué.]]. Même étiqueté dans sa boite, le DVD non lu reste un potentiel de communication. Il se peut que l’exemplaire soit défaillant ou encore qu’une erreur chez l’industriel ait fait presser tout autre chose dessus. Il se peut même que l’exemplaire du DVD que j’ai déjà vu, ait connu un regrettable accident entre deux lectures.

Si l’information est comprise comme un objet unique, sa communication n’est pas neutre. Ainsi une chanson peut connaître de multiples manifestations dans le réel. La chanson comme information s’exprimera tout autant par la diffusion sur une multitude de matériels différents des copies d’un enregistrement de référence pour autant de résultats différents. L’écoute d’un même enregistrement dans le fauteuil d’un audiophile possédant une pièce dédiée à l’écoute de musique ou comme musique d’attente au téléphone sous une forme fortement dégradée sont des expériences finalement très éloignées qui ne répondent pas du tout aux mêmes usages. L’information diffusée est la même, son sens est en revanche totalement différent.

Plus encore l’information « chanson » peut tout autant être communiquée sous la forme de texte et de partition, reprise sous une forme originale par d’autres artistes, ré-interprétée en concert, remixées voire massacrée par n’importe qui dans sa salle de bain. C’est l’interprétation de l’esprit humain qui reconnaîtra toutes ces manifestations comme celle d’une même information.

L’information n’est pas réelle
L’information source, volontiers appelée contenu sera considérée comme un objet unique. Elle n’existe pourtant que comme abstraction intellectuelle qui ne se matérialise pas en dehors d’une communication.

L’information n’est donc pas réelle, elle n’est qu’une représentation désignant un objet intangible et inaccessible car construit par l’esprit. L’information existe probablement puisque nous parvenons à en reconnaître les différentes manifestations mais elle demeure néanmoins irréelle pour elle-même.

Dès que nous la reconnaissons, c’est bien qu’elle a fait l’objet d’un processus de communication, c’est à dire une manifestation physique perceptible par nos sens et d’un processus cognitif d’interprétation. Cette manifestation est localisée dans un ici et maintenant qui n’est jamais tout à fait identique aux autres. Chaque manifestation d’une information est par essence une communication unique[[On retrouve par le biais de la communication orchestrale, les principes d’indexicalité et de réflexivité de l’éthométhodologie, ce qui est assez nature, puisque les deux disciplines puisent leur source dans la phénoménologie. ]].

Le sens résidant dans l’interprétation personnelle de chacun, on peut tout à fait imaginer tordre la communication d’une chanson au point où personne ne pourra la reconnaître. Ainsi, si je décide de diffuser en place publique « My Way » dans la gamme ultrasonore, dois-je néanmoins payer les droits à la SACEM ?

C’est l’effet de la transmission, c’est à dire sa manifestation dans le monde réel qui provoque une foule de processus intimes de création de sens. Alors que dans l’idéal cybernétique, le message est encodé, c’est à dire défini et intelligible pour lui-même, la communication orchestrale redonne la paternité du sens aux différents acteurs du processus de communication.

Elle définit de façon bien plus rigoureuse ce qui est de l’ordre du fait et ce qui est de l’ordre de la représentation. Le « contenu », est en revanche une notion approximative et fantasmée sur laquelle repose pourtant la justification idéologique des promoteurs de la propriété intellectuelle.

Vers la société orchestrale
Il faut maintenant opérer un retour à notre problématique initiale visant à savoir si oui ou non Internet constitue une révolution d’une ampleur aussi importante que certains veulent bien le dire. Si l’on considère à nouveau le lien établi entre la modernité décrite par Foucault et la communication cybernétique héritée de l’imprimerie, on peut comprendre en quoi l’émergence de systèmes de communication orchestrale comme internet sont susceptibles de révolutionner profondément le fonctionnement social. Il risque bien de faire voler en éclat le micro-pouvoir décrit par Foucault. Nous sommes donc susceptibles de connaître des évolutions sociales aussi profondes que celles que Foucault décrit dans le passage entre la société d’ancien régime et la société moderne.

Lui-même professait volontiers que ce que nous considérerions comme des piliers inébranlables de notre civilisation et que notre implacable rationalité elle-même ne résultaient que d’une évolution sociologique et que de la même façon que l’ordre immuable de l’ancien régime avait été bousculé par celui de la modernité, celui de la modernité était susceptible de se faire bousculer à son tour[[Afin d’illustrer la dimension totalement construite de notre rationalité, Michel Foucault cite dans les mots et les choses, une nomenclature des animaux trouvée dans une encyclopédie chinoise. On y trouve donc les animaux appartenant à l’Empereur, embaumés, apprivoisés, les cochons de lait, les sirènes, les fabuleux, les chinchards , les chiens en liberté, ceux inclus dans la présente classification, qui s’agitent comme des fous, les innombrables, ceux dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau, ceux qui viennent de casser la cruche, qui de loin semblent des mouches et les autres… ]].

Peut-être sommes-nous donc à l’aube de ce bouleversement, ou ce qui semblait naturel et tomber sous le sens pourra se retourner totalement. Il suffit de voir à quelle vitesse, Wikipédia est passé du statut de truc impossible, à celui de scandale, jusqu’à faire partie du paysage.

Il est fort probable que cette possible métamorphose se déroule bien plus rapidement que ce que l’ancien régime a pu connaître, en vertu des systèmes de communication dont nous bénéficions aujourd’hui.

Une grille de lecture adaptée
Les différentes perspectives d’infocom présentées me semble porter la promesse d’une certaine rigueur dans la réflexion et le débat sur les sujets qui nous occupent aujourd’hui. Ses principaux axiomes sont donc :
– L’information n’est pas réelle, seule la communication de l’information l’est.
– La communication n’est pas neutre, elle déforme et contextualise l’information qu’elle exprime.
– Le sens réside dans l’esprit des individus, c’est un processus intime et non partageable.
Ce choix de point de vue devrait permettre de mener dans un tout cohérent une analyse de phénomènes qui nous intéressent, de déconstruire les arguments adverses et de construire une doctrine sur les grands débats du domaine.