« Devenir »

La transformation arrive trop rapidement pour la perception intellectuelle. Pour ma part, je l’ai vu trop tard, un jour de pluie fine, alors que je me retournais sur mon passé trouble.

Enfin quand je dis rapidement, cela doit dépendre des individus. Chez moi, alors que je marchais en équilibre inlassablement sur la ligne délicate qui sépare le blanc du noir, le bien du mal, tout a basculé un beau jour de printemps. La mutation totale a pris plus de temps : les deux années suivantes sont passées comme un renoncement à la vie.

La situation est indescriptible. Ce sentiment extrêmement malaisé est inconnu à l’interlocuteur lorsqu’il n’en a pas fait l’expérience. En effet, en apparence, la banalité quotidienne donne le change. Pour un regard extérieur, je vis comme la majorité de mes semblables. Mais à l’endroit où j’existe vraiment, seul le néant froid et vide persiste.

Un être humain est-il destiné à devenir à part ? A-t-il une voie toute tracée ? Son évolution est-elle soumise aux hasards de la vie, aux détours des chemins sinueux semés d’obstacles plus ou durs à surmonter ? Aux choix qu’il fait ? À son éducation ? Est-ce tout cela à la fois ? Chez certains, il est aisé de sentir une intelligence vive qui les place à un niveau de connaissance supérieur. Ces êtres de lumière deviendront clochards incompris ou génies adulés. Or, ils sont peu. Du moins, cette élévation sereine est difficile à déceler (et à comprendre pour le commun des mortels). En effet, elle arrive parfois tardivement, avec le temps.

J’espère appartenir à cette caste d’élus. Si ce n’est pas le cas, mon nouvel état n’a pas lieu d’être. Je serais lors rapidement absorbée par le monde des ombres, où le soleil ne remplace jamais les étoiles. Quoi qu’il en soit, dans mon univers, la lune est toujours pleine. J’ai oublié la beauté d’un levé de soleil.

Je suis désormais vampire.

Cécilia JAMART
Le 29 avril 2005