Colloque de HEVEL : Arméniens, Juifs, Tutsis, des peuples face au négationnisme

Le premier orateur a été Meir Waintrater, Directeur de la Rédaction de l’ARCHE. Il a insisté sur le fait que le combat contre le négationnisme, qui touche les trois génocides représente un combat non dans le passé mais dans le présent. En effet le négationnisme perpétue le génocide. Il représente une tentative de déculpabilisation des bourreaux. Les victimes d’un génocide suscitent dans un premier temps de la sollicitude mais aussi de la culpabilité qui entraîne à son tour de l’agressivité. Les victimes sont alors perçues comme « des empêcheurs de tourner en rond ».

Exemple : l’exigence des Arméniens pour la reconnaissance de leur génocide par la Turquie empêche le bon déroulement des négociations de l’entrée de celle-ci dans l’Union Européenne.

Les Tutsi avec leur demande d’éclaircissement du rôle de la France dans leur génocide sont pour le moins gênants.
Quant aux Juifs avec leur projet sioniste, ils perturbent les relations de l’Occident avec le monde arabo-musulman, détenteur de richesses pétrolifères.
Ainsi le champ devient libre pour les négationnistes et leur délire de complot arménien ou juif ou tutsi.

Régine Waintrater, Psychanalyste, Maître de conférence à Paris VII.
Elle a complété l’approche de M. Waintrater par une analyse psychologique du négationnisme.

Ce dernier est une forme de paranoïa, un mécanisme de défense afin de projeter à l’extérieur ce qu’on ne peut pas reconnaître de mauvais en soi-même. C’est un délire très construit qui peut devenir universel parce que très convaincant. Dans un génocide, les bourreaux attribuent au groupe à exterminer, par projection, un risque de disparition pour eux-mêmes. Bref, le génocide devient de la légitime défense contre un pseudo complot. Ce crime majeur touche au groupe, à la Loi et à la filiation, car on élimine trois générations à la fois. Pas de survivant. Les génocides interviennent dans les moments de troubles identitaires. Ce ne sera plus: « Eux et nous » mais  » Eux ou nous ». Enfin, Mme Waintrater a montré combien le discours, la parole, le langage (propres à l’espèce humaine) permettent l’exclusion de l’Autre, le passage à l’acte génocidaire, et le négationnisme.

Alexandre Feigenbaum, Directeur de Recherche ; un des initiateurs et intervenant dans le collectif « Nouveaux Visages de l’Antisémitisme » – NM7, 2000 ; Auteur de plusieurs articles sur le racisme, le négationnisme, la laïcité ; Membre du ccTr (Collectif Contre TOUS les Racismes), du MPCT (Mouvement pour la Paix et Contre le Terrorisme), responsable de la lutte contre l’antisémitisme au B’nai B’rith ; Organisateur de nombreuses manifestations contre tous les racismes ; Ancien militant du MRAP.

M. Feigenbaum a décrit avec précision la convergence qui existe entre « les bruns-verts-rouges ». Les bruns (nazis et néonazis) perpétuent l’antisémitisme par un discours négationniste qui se fonde sur un antisionisme radical et virulent, reprenant la démarche du livre falsificateur « le Protocole des Sages de Sion ». Historiquement il y a eu et il y a encore de nombreux liens entre islamistes (les verts) et nazis. Ils prônent tout simplement la destruction de ce pays et de l’ensemble du peuple juif. « Le protocole des Sages de Sion » et les ouvrages négationnistes sont d’ailleurs un best seller dans les pays arabes.

Quant aux rouges, à gauche, ils sont influencés par 50 ans d’un antisionisme stalinien, qui s’est développé même après la mort de Staline, avec des moyens de diffusion considérables. Ces discours négationnistes font référence de manière obsessionnelle à la shoah, pour la déjudaïser, selon l’expression de Simon Wiesental. Tout ceci a été présenté avec force détails historiques et journalistiques, de façon très claire et pédagogique.

Yves Ternon, Chirurgien et docteur en histoire
Dans un souci pédagogique, il nous a donné un certain nombre de précisions sémantiques. Il a rappelé que le mot négationnisme a été créé en 1980 par l’historien Henri Rousso afin de remplacer le mot « révisionnisme », impropre et inopportun. En effet, le révisionnisme sous-tend une idée de renouveau et a pu être appliqué à d’autres mouvements historiques ou politiques. Alors que les négationnistes nient la réalité des faits comme les génocides avérés et prouvés.
Le principal socle de l’instrument de la négation, c’est la mise en accusation de la victime maintenue dans un statut « de menaçante » par les bourreaux. La méthode consiste à dire que cette histoire de génocide n’a pas eu lieu car pas convaincante (trop énorme pour être crédible). De plus, les négationnistes tentent toujours de créer une brèche dans les récits des victimes. Lorsqu’il y a une erreur de témoignage, cela leur permet d’affirmer que l’ensemble des témoignages est faux.

Une autre méthode utilisée par les négationnistes, c’est de pénétrer les milieux universitaires qui, par essence, se doivent de douter (de façon positive). Les négationnistes forcent donc les universitaires à discuter du bien fondé de la réalité historique du génocide.
Autre moyen utilisé : internet; pour M. Ternon , internet est un véritable « égout » où se déversent quantités de mensonges difficiles à contredire.

Dernière question posée par M. Ternon: faut-il dialoguer avec les négationnistes ? La réponse a été claire : NON, car on ne parle pas avec des menteurs.

Ara Toranian, Directeur de publication des Nouvelles d’Arménie ; Président du CCAF (Conseil de Coordination des Organisations Arméniennes de France)

Il nous a parlé du négationnisme d’Etat opéré par la Turquie à l’encontre des arméniens. Le négationnisme du génocide arménien est celui du silence. En effet, depuis 90 ans, la Turquie s’est efforcée de taire, de transformer, de nier la réalité du génocide de 1915. M. Toranian a montré les conditions historiques qui ont permis ce négationnisme d’Etat. La venue au pouvoir de Mustafa Kemal, dit Ataturk, qui s’est présenté comme un musulman laïc soucieux de moderniser la Turquie en séparant la Mosquée de l’Etat (phénomène unique au monde), a masqué le fait qu’il a entériné le négationnisme du génocide arménien. Il a conservé au pouvoir les auteurs de ce crime atroce et depuis lors il existe des rues qui portent le nom des assassins en Turquie. Toute tentative de reconnaître la réalité du génocide arménien est sanctionnée par la loi dans ce pays. Le seul espoir pour le peuple arménien c’est l’exigence de la reconnaissance de ce génocide par les Turcs pour pouvoir entrer dans l’Union Européenne.

Gilles Karmasyn, Chercheur

Il nous a parlé de la nature et des méthodes du discours négationnistes, pour en souligner la perversion et le danger. J’ai donné des exemples de ce discours et les documents qui les réfutaient, notamment en ce qui concerne la shoah.
Il a insisté sur la dimension planétaire de ce fléau en reprenant certains arguments et informations prodigués par Yves Ternon.

Afin de mieux s’informer sur la lutte contre le négationnisme, M. Karmasyn a par ailleurs mis à disposition du public les sites internet suivants :

www.phdn.org/
www.anti-rev.org/
www.holocaust-history.org/
www.nizkor.org/
www.h-ref.de/

Assumpta Mugiraneza, Vice-Présidente de Appui Rwanda
Elle nous parlé du génocide tutsi. Elle a démontré que le négationnisme consiste d’abord à utiliser les stéréotypes occidentaux concernant l’Afrique. Cette dernière serait restée « sauvage » et le génocide des tutsi ne serait qu’un avatar de plus dans les guerres interethniques qui seraient typiques de ce continent. Elle a beaucoup insisté sur le rôle néfaste du gouvernement français qui a consisté à prendre le parti des génocidaires, ce qui a entraîné la mort d’un million de personnes de la manière la plus atroce. A ce jour, les Hutu responsables du génocide ont trouvé refuge en France et en Belgique et se permettent même d’écrire des livres et d’être reçus au Sénat et à l’Assemblée Nationale. Mme Mugiraneza a insisté sur le besoin de faire la lumière sur le rôle de la France et de la Belgique dans ce génocide afin de « conserver la paix civile dans ces démocraties »…

Paul Kieusseian, Médecin-victimologue ; Président de Sassoun
Il a abordé la dimension thérapeutique concernant les victimes de génocide. Se basant sur sa pratique, il a montré les états de stress post traumatiques qui frappent l’ensemble des membres d’un peuple ayant souffert de ce crime suprême. Il a de plus insisté sur la nécessité de créer un organisme indépendant de prévention des génocides qui permettrait d’empêcher les négationnistes d’agir. Il a proposé que cette organisation soit basée à Jérusalem.

Alain Gautier, Président du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda ; Enseignant, nous a parlé de son combat pour l’obtention de la justice dans les procès tant au Rwanda qu’en Europe, pour ce qui concerne le génocide des tutsi. Il a décrit toutes les difficultés inhérentes à ces jugements et le besoin de soutenir ces actions en justice, tout en rappelant que le terme « négationnisme » n’est pas encore défini par la loi.

Les interventions ont suscité des débats intéressants avec le public.

Les modérateurs de la matinée ont été le Président de l’amitié judéo-noire, Cheikh Dokouré et Israël-Bernard Feldman, fondateur de HEVEL ; Psychologue-Victimologue-Criminologue, Enseignant universitaire.

L’après-midi, les modérateurs ont été Fodé Sylla, Membre du Conseil Economique et Social, ancien Député Européen, ancien Président de SOS-Racisme, Loic Ohanian, Israël-Bernard Feldman et Alexandre Feigenbaum, qui avait donné une conférence le matin. MM. Sylla et Feldman ont amené la conclusion à ce colloque passionnant.

Fodé Sylla a montré l’intérêt de l’union des peuples opprimés dans ce combat contre le négationnisme ainsi que le point commun des mécanismes de la négation.

Après avoir résumé l’ensemble des interventions, M. Feldman a insisté sur le fait que dans les génocides et leur négation, il y a inversion dans la perception de la réalité: les victimes sont perçues comme « riches », les bourreaux comme « pauvres ». Les riches se croient pauvres et se jettent sur les véritables pauvres, les minorités.
Ces dernières deviennent alors de véritables cibles, des boucs émissaires qui auront beaucoup de mal à se dégager de ce statut.
Il a de plus cité l’article 122-1 du code pénal français:
« il n’ y a de crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister ». Il y a des failles concernant cet article. D’abord les experts psychiatriques se contredisent, ensuite, on risque de laisser en liberté des criminels impunis sous prétexte de démence individuelle (monomanie) ou collective.

M. Feldman a insisté sur la nécessité de cesser de craindre les négationnistes car dans ce combat de David contre Goliath, c’est David qui a gagné.

La dernière annonce a consisté à informer le public sur la tenue d’un prochain colloque sur l’Esclavage passé et présent.