Un long film sur la manière de tuer

Traduction en français sur le site www.primo-europe.org

« Le chef d’oeuvre caché de Spielberg » – annonçait la couverture du numéro de novembre de Time. L’hebdomadaire en question a, le premier, eu l’honneur de se voir accorder une interview avec Steven Spielberg au sujet de son nouveau film Munich. Cette reconstruction romancée de la contre-attaque du Mossad sur les terroristes palestiniens, auteurs du massacre des athlètes israéliens durant les Jeux Olympiques à Munich en 1972, est le premier film politique, au sens strict, dans la carrière d’un réalisateur qui, jusqu’ici, rapportait le plus d’argent dans les caisses de l’histoire du cinéma.

Il est vrai que jusqu’ici Spielberg se référait à l’histoire contemporaine, que ce soit dans « Il faut sauver le soldat Ryan » ou dans La liste de Schindler ; toutefois il se référait à des évènements établis, condamnés, bouclés, de la deuxième Guerre mondiale.

Le réalisateur se défendait de faire appel à des problèmes reflétant la réalité politique du monde actuel. Maintenant, à l’âge de 59 ans, il a décidé de changer de registre. Dans Munich il renoue avec des évènements tout aussi traumatisants pour sa génération, que celui de voir les tours World Trade Center s’écrouler pour les New-Yorkais.

Ce n’est pas la terrible attaque terroriste, déjà scrupuleusement relatée dans le document récompensé par un Oscar en 1999 « Un jour de septembre », qui est le thème du film  » Munich  » mais son résultat. Spielberg s’intéresse à ce qui s’est passé ensuite, quand le Premier Ministre israélien, Golda Meir, a confié au Mossad la création d’une section de quelques personnes au cryptonyme  » La Colère de Dieu « . Section qui devait rechercher et liquider les membres du groupe terroriste Septembre Noir dispersé en Europe et au Proche-Orient, lequel avait perpétré l’attaque terroriste.

Depuis le début, le projet de Spielberg réveillait l’émotion tant du côté israélien qui n’avait jamais confirmé l’existence d’un groupe spécial poursuivant les terroristes, que du côté palestinien, se sentant de plus en plus couvert du parapluie que déploie au-dessus de lui depuis des années la gauche européenne.

Le cri du faussaire hollywoodien

Depuis le début il était évident, qu’il s’agirait de la position la plus controversée dans la carrière du réalisateur. Munich s’appuie presque exclusivement sur le livre de Georgie Jonas Vengeance (de 1984), sur la base duquel il y a déjà eu un film – sponsorisé par la chaîne HBO L’épée de Gidéon (1986). La crédibilité du livre avait été depuis, remise en question.

Mais des craintes d’une autre nature venaient du fait que Spielberg dans tous ses films « sérieux » faisait plutôt montre du tempérament d’un amuseur hollywoodien plutôt que d’un réalisateur conscient des effets politiques qu’il souhaite obtenir. En d’autres termes, il a toujours souhaité satisfaire tout le monde, ce qui se résumait à des réponses naïvement désarmantes dans ses conclusions aux questions posées de prime abord.

La crainte que Munich ne fasse pas exception à la règle, s’avère en partie fondée. Mais personne assurément, ne s’attendait à ce que le film soit du point de vue historique et moral, malhonnête.

Afin de simplifier la devise de sa  » prière pour la paix « , comme il a appelé Munich, il est allé jusqu’à la manipulation.
Il a concocté un drame munichois hors contexte sorti du cadre plus vaste de l’époque – celui de l’intensification d’alors des actes des terroristes palestiniens, lesquels en quelques mois à peine, avant de faire irruption au village olympique, avaient inscrit à leur compte des actes de violence comme la pose d’une bombe dans l’avion Swissair de Zurich vers Israël, en 1970, où 47 personnes ont péri, le détournement de quelques autres avions, le mitraillage des synagogues, ou les jets de grenades sur des passagers de l’aéroport de Tel-Aviv.

C’est par un silence total que Spielberg recouvre le fait que dans les années 70 il y avait un autre rapport de forces au Proche Orient et un tout autre rapport de sympathie du monde envers les deux parties du conflit. On pouvait ne pas avoir de sympathie envers le Premier Ministre Golda Meir, mais on ne peut lui reprocher que dans sa décision de riposter aux membres de Septembre Noir, elle fût exclusivement guidée par une velléité aveugle de vengeance. Elle était guidée par un principe justifié, celui de la crainte d’une menace grandissante d’organisations palestiniennes, liées à l’internationale terroriste de gauche soutenue par Moscou dans l’Europe de l’Ouest.

D’après la logique de guerre d’alors, une absence de réponse à l’attaque de Munich aurait été interprétée comme un signe de faiblesse, et le sentiment d’impunité aurait ouvert la voie à une escalade d’actes terroristes. Rien d’étonnant à ce que, dans l’affirmation officielle du Ministre des Affaires étrangères d’Israël au sujet du film  » Munich  » apparaisse le reproche que Spielberg, de façon préjudiciable, en attentant à la mémoire de onze sportifs assassinés, ait placé un signe d’égalité entre les parties du drame.
La thèse, suggérée par lui, que les terroristes palestiniens, quoique ayant commis un crime impardonnable, avaient des arguments pour leur défense, et les vengeurs, au fur et à mesure de l’extermination de l’ennemi, auraient de plus en plus de doutes dans les implications morales de leur mission, est inacceptable.

Le paradoxe particulier de Spielberg, qui a préféré une vision hollywoodienne du conflit israélo-palestinien à celui de la réalité, ne peut être expliqué que par l’opportunisme du réalisateur et cette vision hollywoodienne idéologiquement ghettoïsée d’une société ayant foi dans la force salutaire de cette distraction qu’est le film. Munich renoue avec les films à sensation des années 70. Surtout avec le film Le jour du Chacal (Day of the Jackal, un thriller) en raison des déplacements du groupe en chasse à travers l’Europe.

Cependant la relativisation morale des actes des héros des deux côtés de la barricade est une violation brutale des règles régnant dans le genre. De même la malhonnêteté intellectuelle du réalisateur par rapport à l’histoire, disqualifie son film en tant que film politique. Pour sa réputation il eût assurément mieux valu que le réalisateur refrène son désir naïvement moralisateur et s’en retourne à ses images de variété, pour lesquelles, il était, au temps des films Les dents de la mer, de Les aventuriers de l’Arche perdue ou de E.T. adulé par des millions de spectateurs.

Les sanglantes et interminables deux heures et demie de Munich auraient pu partager en deux camps les rapporteurs et déclencher une vive discussion, au lieu de quoi il suscite plutôt un faible intérêt du public américain. Après une semaine de projection le film n’a obtenu que la 10e place dans la notation du box office avec des recettes misérables de 15,6 M $, ce qui, à l’échelle de Spielberg équivaut à la catastrophe. Cela signifie que le nom du réalisateur n’attire plus les spectateurs de cinéma et confirme les remarques des malveillants que le succès de l’an dernier de la peu réussie Guerre des mondes, était avant tout dû aux excès des avant-premières publiques amoureuses-scientologiques de Tom Cruise, comédien le plus adulé (mais en même temps déclaré le plus agaçant), des participants de l’enquête du magazine Empire.

D’une manière ou d’une autre, le chef d’œuvre annoncé sur la couverture de Time, s’est avéré un ballon vide dont, dès le lancement, l’air s’était échappé.

Traduit du polonais par Irène Elster

L’hebdomadaire Wprost, n° 1205 (15 janvier 2006)