Rencontre avec Olivier Ayache-Vidal – « Les Grands Esprits »

Il est conseillé d’avoir vu le film pour lire cette session de questions-réponses car certaines réponses ou questions font références à des événements précis.

Session de questions-réponses après la projection du film Les grands esprits.

Question : Est-ce que les élèves acteurs ont vu le film et qu’est-ce qu’ils en ont pensé ?

Olivier Ayache-Vidal : Ils ont vu le film, les parents et les gens du collège l’ont vu aussi et ils trouvent ça super. Ça reflète exactement la réalité et ce qu’ils vivent. Voilà, ils étaient vraiment… Enfin, ce n’est pas à moi de le dire.

Pour moi, c’était très important, je ne sais pas si vous savez, mais le collège où j’ai tourné, c’est le collège où je suis resté en immersion pendant 2 ans et demi à peu près. Parce que je cherchais à comprendre comment ça fonctionnait. Du coup au départ, j’ai cherché dans le 93, il s’appelait d’abord le collège Maurice Thorez qui est devenu entre temps le collège Barbara, car ils l’ont reconstruit pour le sortir de la cité. Il était donc flambant neuf, il avait deux ans quand on a tourné. Pour moi, c’était important de tourner avec tous les gamins du collège. C’était vraiment eux, donc j’ai pris des 5° et des 3° pour faire une classe de 4°.

Question : c’est plutôt un témoignage à chaud, qu’une question pour le moment, je voulais d’abord vous féliciter, car c’est un très beau film. Je suis venu avec beaucoup de préjugés pour ce film quand j’ai lu le synopsis vu que je suis enseignant en REP à Evry. Et je me disais « Ouhlala, encore un film avec plein de clichés » et en fait pas du tout, c’est un film avec plein d’émotions et qui reflète avec justesse certaines scènes qui ne sont pas toujours montrées au cinéma.

Olivier Ayache-Vidal : Merci beaucoup, c’est le plus beau compliment que vous pouvez me faire. Il était extrêmement important pour moi que les professionnels s’y retrouvent. Et qu’ils aient le sentiment que ce que je raconte est la réalité, leur réalité. C’est mon point de vue aussi, je suis arrivé un peu comme un novice dans cet univers. J’ai pris beaucoup de temps pour essayer de comprendre, à écouter, j’étais en salle de classe au fond. Parfois, je suivais une classe pendant toute une journée avec tous les profs différents et parfois inversement. C’était une immersion extraordinaire, j’ai pris du temps. Petit à petit, le scénario s’est écrit, je l’ai montré, que se soit à des profs ou des professionnels pour vérifier que ce que je racontais n’était pas que ma vision des choses.

Question : Bonjour, je suis moi étudiant, avez vous eu l’occasion ou avez vous pu le montrer au Ministère de l’Éducation nationale, et si c’est le cas, quels ont été les retours ?

Olivier Ayache-Vidal : Absolument, je l’ai montré d’autant plus car je l’ai tourné au ministère de l’Enseignement et de la Recherche, car le ministère de l’Éducation nationale n’était pas forcément très très intéressant. J’avais envie que ça se tourne dans le vrai, et quand j’ai fait les repérages, je suis tombé sur le chef de Cabinet qui nous a présenté, on est allé dans le bureau du ministre. Et quand je cherchais de la figuration, je me suis dit que ça serait drôle que le chef de Cabinet soit le vrai, alors ce n’est pas celui qui joue le directeur de Cabinet, c’est le barbu qui est sur le côté. Et après, je lui ai dit « Vous pouvez peut-être inviter le ministre, ça serait sympa qu’il le voit. ». Il a dit pourquoi pas, du coup, il a invité une conseillère spécialisée, elle est venue voir et a trouvé ça très bien. Pour le ministre, je crois qu’il y a une projection le 20 septembre dans le cadre de la semaine contre l’échec scolaire. L’association qui s’occupe de ça voulait qu’on le présente et il y aura en principe le ministre.

Question : Je voulais savoir s’il y avait des parts d’improvisation dans le film, et ce qui m’a surpris c’est le premier plan lorsqu’il arrive à l’école, j’ai cru voir un endroit carcéral.

Olivier Ayache-Vidal : C’est vrai, maintenant on traverse une espèce d’allée verte et quand on arrive ça fait clairement prison. Mais il se trouve qu’à l’intérieur, se sont des conditions idéales de travail. C’est spacieux par rapport à l’ancien collège qui était lui terrible. C’est là très confortable, c’est insonorisé, une salle de spectacle, de gym, etc.
Sinon, il y a eu très très peu d’improvisation, en tout cas pas de la part des élèves, mais seulement de Denis Podalydès pour la première séquence. Car ce que je ne savais pas quand je lui ai proposé le rôle, c’est qu’il a fait sa prépa à Henri IV. Du coup, quand il y est retourné en tant que comédien, il se baladait comme ça, improvisait quand il parle de Molière. En fait, il voulait être prof au début, il se sentait comme un poisson dans l’eau. Mais sinon le texte était assez précis avec les élèves, ils avaient répété pendant les vacances de Pâques et le partage des lignes étaient pour ceux qui le connaissaient et voulaient.

Question : Moi j’enseigne au conservatoire, c’est un peu différent, mais je me suis aussi retrouvé. Dans mon premier poste, le directeur m’avait dit « Essayez déjà de les tenir ça sera pas mal, et si vous arrivez à leur apprendre quelque chose, c’est mieux. » Et ce que montre le film, c’est qu’à partir du moment où on respecte les élèves et qu’on a un vrai projet pour eux, et finalement ça marche. Ce n’est pas forcément une question de réforme de l’éducation, etc. Mais c’est surtout d’arrêter d’avoir des préjugés sur une certaine population et d’essayer de limiter les fractures qu’il peut exister. Ma question est donc si parmi ces élèves, ça a suscité des envies de continuer le théâtre ou le cinéma ?

Olivier Ayache-Vidal : Au départ, pas pour Abdoulaye, lui il était un peu comme dans le film, avec de l’énergie, un peu leader dans son groupe, mais pendant le film, il ne savait pas que c’était du cinéma. Il pensait que c’était de la télé, tout ça, c’était un peu confus pour lui. Et puis il a commencé à voir l’ampleur que ça prenait, puis l’affiche, puis le festival d’Angoulême. Là, c’était très très drôle, il est sorti du festival et les gens étaient là à attendre et lui ont demandé des autographes. Et il a fait ça très naturellement et maintenant, il a un agent. Mais bon, c’est très compliqué la carrière d’un comédien, surtout à cet âge. On peut être très bien à 15 ans, 16 ans, puis à 20 ans, c’est plus le même, etc. Pour l’instant, il fait ses études et ça sera toujours en parallèle. Là, il fait sa formation.

Ce qui est formidable aussi, c’est qu’il y a des élèves qui ont présenté Henri IV et Louis Le Grand, et par exemple le personnage de Youssef dans le film a été accepté à Louis Le Grand. Et une jeune fille a présenté Henri IV, elle était admissible, mais ses parents ont préféré qu’elle soit dans le lycée de proximité, qui est aussi très bon.

C’est pour dire que le niveau n’est pas forcément terriblement bas. Il y en a pour qui c’est difficile et il y en a qui finalement réussissent mieux et qui sont brillants. Il y a des préjugés qui sont qu’il y a moins d’intelligence d’un côté que de l’autre et c’est faux. Comme l’expérience sur les animaux, scènes que j’ai un peu coupées d’ailleurs. On a des a priori et de ce fait, on ne monte pas les individus au même niveau quand on a des préjugés.

Question : comment s’est passé l’écriture du scénario, quel dialogue il y a eu ?

Olivier Ayache-Vidal : Les dialogues, c’est surtout ce que j’ai entendu, ce qu’on m’a raconté. Il y a un des profs qui m’a frappé par sa bienveillance, son autorité naturelle, c’est d’ailleurs de son prénom que vient le prénom de François. Il avait une bonne expérience. Au niveau de l’écriture, j’ai vu les conseils de discipline et ça a augmenté, ça m’a frappé. On m’a permis d’en voir, et finalement, j’ai exactement vu la scène qui se passe dans le film. Je l’ai conseillé, et il n’a pas bien parlé et il a été viré. J’ai essayé de voir comment ça fonctionnait. Je me suis dit que ce n’était pas possible, je me suis renseigné sur l’appel, et j’apprends que ça ne servait à rien. J’ai fait des recherches, et j’ai vu qu’il y avait 17.000 expulsions par an. Et je voulais le montrer dans le film, et que ça peut tomber pour plusieurs raisons. C’était un long processus et ça a duré bien deux ans.

Question : C’est une question concernant les élèves. Aviez-vous un retour de leur part, un recul sur les dialogues qu’ils disaient. Qu’il y avait une sorte de caricature entre le professeur d’Henri IV et ces élèves de banlieue.

Olivier Ayache-Vidal : Ils sont très conscients de l’image qu’ils renvoient et des a priori auxquels ils sont confrontés. Les élèves ont vraiment été très satisfaits. Et je pense que l’image qu’on renvoie, c’est que se sont des ados, qui sont un peu difficiles, c’est pour ça que c’est au collège. Ils ont trouvé ça juste, après le recul, ils ont vu le film en juin, on va le montrer le 8 à Stains, mais ils ont été très contents. Je l’ai montré à des parents dans la cité quand c’était en cours de montage, et ils ont dit que c’était utile de faire des films comme ça. Et j’ai composé une classe plutôt classique, la moitié de la classe qui est très sage et calme, 4/5 complètement dissipés et turbulents et la dernière partie qui va suivre d’un côté ou de l’autre. On en voit qui ne parle jamais et qui ne sont pas spécialement rebelles à l’autorité. La caricature aurait été que je mette 24 gamins turbulents, mais ce n’est pas vrai. La plupart écoutent, ne parlent pas, font ce qu’on leur demande. Mais il y en a certains, on peut dire qu’ils sont pénibles, qui parlent tout le temps. Pareil sur le tournage, c’était compliqué.

Question : Quel était le projet initial ? Et s’il y a eu une fin de projet avec ce que vous avez vu.

Olivier Ayache-Vidal : j’y suis allé un peu comme un journaliste, vierge de tout propos. Et je voulais montrer ce que je voyais. C’est pour ça que ça a pris un peu de temps, le projet était de montrer une situation comme on la découvre, et la partageait. Y’a que le pitch, un prof d’un lycée d’élite qui va être plongé dans un milieu qu’il ne connaît pas. Le film ne dit pas qu’il faut envoyer des profs expérimentés, il dit qu’il faut une meilleure formation des profs et une bienveillance envers les élèves. Comme pour les Inspecteurs d’académie, il faut plus que les profs aient de bonnes formations pour apprendre à faire face. Le scénario permet d’avoir un regard vierge.

Question : Quand j’ai lu le synopsis j’ai vu Entre les murs, mais finalement le film trouve sa voie, j’aurais voulu savoir si c’est un film que vous aviez en tête, qui vous a suivi ?

Olivier Ayache-Vidal : c’était un film très réaliste, j’avais aussi l’idée de quelque chose de réaliste aussi. Mais je n’avais pas conscience à l’époque que c’était un peu défaitiste quand même. Quand j’en ai parlé à des pédagogues, c’est un peu ça. Je pense qu’il y a plein de choses à faire. Mais je pense qu’il y a beaucoup de profs qui ont cette dynamique.

Question : J’ai beaucoup aimé dans le film qu’il y a de la légèreté ce qu’on ne retrouvait pas dans Entre les murs, il y a de la drôlerie, de la légèreté. J’ai beaucoup aimé sur la séquence de l’impuissance acquise avec le jeu des anagrammes avec les mots différents. Je voulais savoir d’où vous est venu l’idée.

Olivier Ayache-Vidal : Là c’est en allant sur internet. Je suis tombé dessus. Et j’ai trouvé ça intéressant, c’est une prof qui a fait ça à des étudiants en psychologie. C’est pourquoi je l’ai utilisé. Je l’ai fait moi-même aux élèves pendant les vacances de Pâques, je l’ai fait sans leur dire ce que j’allais faire et ça a donné exactement la même chose. Je leur ai aussi demandé qu’est-ce qu’un bon prof, un mauvais prof. Et bien évidemment, le bon prof n’est pas celui qui laisse tout faire ou rien faire. C’est un prof qui les aide à s’élever. Mais je pense que ça vous le savez.

Question : J’ai beaucoup aimé le film car vous y avez mis des touches d’humour. Il y a des scènes qui sont vraiment drôles, et pas du tout caricaturales. Je voulais savoir pourquoi vous avez rajouté les intrigues amoureuses entre le héros, mais aussi entre François et la professeure d’histoire-géo, avez-vous observé ça aussi, ou c’est purement du scénario imaginatif ?

Olivier Ayache-Vidal : C’est quelque chose que j’ai observé, les profs qui se rencontrent et qui se marient entre profs. Après j’ai découvert ça par l’intermédiaire d’un élève qui a dit ça à un prof. J’ai effectivement remarqué cela après et je voulais montrer le personnage principal qui a une vie affective un peu morne et cette professeur qui est au début pleine d’ambition pour ses élèves. Puis elle tombe sur un prof de maths qui n’était pas fait pour ça, qui la fait sombrer et la démoralise. Mais après le héros arrive et les deux individus vont se rapprocher, car ils peuvent faire des choses, monter des projets, mais bon à la fin elle part avec l’autre quand même. Et je trouvais ça drôle qu’à la fin Abdoulaye et Denis soient à la fin sur le même niveau émotionnel. Autant, ils ont beaucoup de différences intellectuelles, mais pour les deux leur histoire d’amour échoue. Mais ce n’est pas la question, ce sont les personnages qui grandissent.

Question : Qu’est-ce qui pousse le personnage d’Abdoulaye à revenir finalement (à l’école) ?

Olivier Ayache-Vidal : Je pense qu’il a été touché par le fait que son prof vienne le chercher jusque-là. Il y avait ses potes du coup ce n’était pas possible pour lui de le dire de suite. C’est comme quand un parent vient vous chercher. Puis après, il réfléchit par lui-même et y’a son pote Marvin qui lui dit aussi. Et après tout, on lui a dit qu’il a le droit de revenir, alors autant, il a été super vexé, mais autant quand quelqu’un vient vous chercher, on peut un peu réfléchir. Un grand pas a été fait par François et du coup, il revient.

Question : Et pourquoi le choix de la chanson « Si maman si[[chanson de France Gall]] » ?

Olivier Ayache-Vidal : Je voulais une chanson du répertoire classique et j’avais pas forcément envie de mettre une chanson contemporaine. Et avec les vrais parents, je trouvais que cette chanson était bien. D’ailleurs, j’en ai écouté beaucoup, et j’ai imaginé la dernière scène, et ça ne marchait pas, alors que celle-là m’a vraiment touché. J’avais peur que se soit trop niais, mais quand ça s’est fait, c’était tellement touchant que je me suis dit qu’il la fallait. Ca parle d’avenir, et quand on voit ces enfants, on se demande comment ils vont évoluer. Pour moi ça a été très difficile de les faire chanter, mais ça les a beaucoup touché.

Question : On voit très peu ce qu’il se passe chez Abdoulaye, ça aurait donné une autre dimension le personnage.

Olivier Ayache-Vidal : Je n’ai pas tant passé sous silence la vie du personnage d’Abdoulaye, mais je préférais que ce soit plus universel et rester sur le point de vu de François, c’est son histoire à lui. Mais il se trouve que les enfants viennent aussi. Mais je ne voulais pas qu’il y ait de gros favoritismes. C’est du point de vu de Denis. On voit très peu autre chose.

Question : Denis Podalydès est excellent, est-ce que vous avez écrit le scénario en pensant à lui ou votre choix était a posteriori ?

Olivier Ayache-Vidal : Non, j’ai pensé à lui dès le départ, et il se trouve qu’il voulait vraiment être prof. Il est brillant et rentrait parfaitement dans le rôle, et c’est un très bon comédien. On peut beaucoup rire avec lui et il peut aussi nous toucher. Il a au début un petit côté ridicule, il ne fait pas le héros, il fait l’homme ordinaire qui peut nous toucher.

Question : Qu’est-ce qui fait que vous vous êtes lancés sur un sujet comme ça ?

Olivier Ayache-Vidal : Au début je voulais faire un film en Chine, un long-métrage là-bas. Mais du coup, je ne l’ai pas fait, mais un court, et il a été vu. On m’a alors demandé si je voulais faire un film sur l’éducation, mais je n’y connaissais pas trop. Mais ça m’a passionné et c’est parti comme ça.

Question : C’est concernant la première scène qui se passe au lycée, c’est vraiment violent, beaucoup plus que ce qu’il se passe dans le collège, je suppose que c’était voulu ?

Olivier Ayache-Vidal : Oui, mais c’est aussi véridique. Par exemple, l’histoire des deux sœurs à qui on dit « Vous vous êtes nulle et vous brillante. » C’est une histoire qu’on m’a racontée, même si j’ai renforcé le trait avec des jumelles. Tous les profs ne sont pas comme ça, mais oui l’idée est de montrer la transformation du personnage. Si je commence avec un prof ultra-pédagogue, bah, il le sera déjà. C’est dur d’être professeur dans ce milieu, il y a des copies de 8/12 pages, avec des élèves exigent qui n’ont pas beaucoup besoin de pédagogique.

Sortie au cinéma le 13 septembre.