Lorsque la communauté de l’autoédition s’éveillera…

La présence d’un ouvrage autoédité dans la dernière sélection du Renaudot est un événement dont il faut mesurer la portée et l’éclairage de l’explosion des nouveaux modes de diffusion et de partage des livres depuis quelques années. Certes, Marc-Edouard Nabe n’est pas un novice en matière d’écriture et sa démarche tient davantage de son anticonformisme et de son individualisme revendiqués. Il faut donc bien distinguer l’œuvre, l’auteur et ses modes de diffusion. Sur les deux premiers sujets, nous n’avons ni la compétence ni le souhait de commenter ; sur le troisième sujet, le débat peut très légitimement s’installer.

Aujourd’hui, sur les différentes plates-formes d’autoédition (assorties ou non de services d’impression à la demande) le volume de références, par nature hors des circuits traditionnels, se compte en dizaines de milliers d’ouvrages sous format électronique. Toute cette masse n’a aucunement vocation à concurrencer ni à supplanter les livres disponibles en librairies, et elle se distingue par l’énorme variété de ses contenus, à la qualité très disparate. C’est précisément le manque de repères, de distinctions et de prescriptions qui rend la perception de l’autoédition approximative et, par précaution, négative. Cela est renforcé par la tendance à confondre les outils de publication et de diffusion mis à disposition avec la qualité inégale des contenus disponibles.

A la différence du livre papier, le livre publié en ligne est bien souvent considéré comme une matière vivante, non fixée, susceptible d’être modifiée encore et encore. Pour parvenir à une forme finalisée, un manuscrit peut être remis encore et encore sur l’ouvrage et certains sites de publication en ligne comme le nôtre sont précisément pensés pour permettre aux premiers lecteurs de critiquer de manière constructive les ouvrages et de les porter ainsi à maturité. Nous avons donc fonction de laboratoire, d’atelier, d’espace d’accompagnement de l’écriture en mouvement où le seul intérêt des commentateurs est le plaisir de participer et d’échanger autour d’une aventure éditoriale singulière.

L’état d’esprit général qui prévaut dans les cercles littéraires qui décernent les prix de l’automne ne semble pas a priori en adéquation avec l’idée que demain pourraient prétendre à un prix des livres qui compteraient plus d’un auteur, qui serait le produit d’une communauté d’esprits bien davantage que le résultat d’une pratique isolée et individualiste de l’écriture. D’ailleurs, à l’instar de Marc-Edouard Nabe, ces livres sont déjà en gestation de-ci de-là, bien entendu invisibles de la quasi totalité des internautes, et permettre leur création en offrant les bonnes conditions techniques, est une fierté et un leitmotiv rares. On attend de la littérature qu’elle dise le Monde, lui donne sens et corps, l’embellisse par l’échange de connaissances, le colore et le rende accessible, même par le biais du plus étonnant imaginaire. C’est plus qu’une conviction : l’évolution est en marche, demain un auteur ayant recours à l’autoédition et à la publication en ligne, suscitera sans nul doute l’intérêt des maisons d’édition traditionnelles et sera certainement couronné d’un prix prestigieux. Mieux, il parviendra à toucher le public aussi largement qu’un auteur de bestseller d’aujourd’hui. C’est tout l’intérêt des amoureux des Lettres de prendre la mesure et d’employer au mieux la gamme complète des outils numériques désormais disponibles.

Karim Wadye Oumoussa
Fondateur et dirigeant d’eBookPulp.com