Les deux canards – Avis +

Résumé

Un journaliste parisien, venu sur un coup de tête s’installer dans une ville de province, amoureux de deux femmes, se retrouve, par la suite de circonstances pour le moins rocambolesques, rédacteur en chef d’un journal de droite le matin et d’un canard d’extrême-gauche l’après-midi.

Avis de Marnie

Beaucoup n’avaient jamais entendu parler de cette pièce qui n’était plus jouée depuis… 1913 ! Plus de deux heures de portes qui claquent, de maris et d’épouses trompés, de quiproquos énormes et de personnages stéréotypés qui ne se montrent pas toujours à leur avantage… Une comédie de moeurs ? Du théâtre de boulevard ? On se croirait devant une pièce de Feydeau et de Labiche, avec tout l’aspect outrancier que cela comporte. Mais voilà, il s’agit de Tristan Bernard, ce qui signifie une maîtrise totale de la mécanique du comique, avec des dialogues ciselés et percutants, des traits dénonciateurs des retournements de veste, de l’hypocrisie du comportement humain dans une société bourgeoise. Cependant, ce que l’on retiendra surtout, c’est la situation totalement insensée dans laquelle se retrouve le héros, dépassé par ses mensonges et ses choix.

S’il nous faut peut-être le temps de la première scène pour entrer dans la pièce, l’intelligence de nous raconter un prologue auquel nous n’avons pas assisté, puisque le quiproquo a commencé sans le spectateur, accélère le rythme. Nous avons l’impression d’avoir attrapé le train au vol ! Nous tentons de rattraper l’intrigue qui prendra toujours un temps d’avance sur nous, surprenant sans cesse par sa folie, ses non-sens. Il faut saluer la mise en scène astucieuse et « rapide » d’Alain Sachs, dans un souci manifeste de donner à l’oeuvre une modernité bienvenue.

Il fallait pour mettre en valeur Léontine Béjun, le premier rôle féminin, une vraie nature. Isabelle Nanty (qui n’avait pas joué au théâtre depuis des années) avec sa personnalité charismatique, par sa seule présence, s’impose en jouant avec un ton décalé de tragédienne mêlé de minauderie et de fougue. Nous pourrions croire qu’elle en fait trop, que l’on ne voit qu’elle mais son personnage qui rêve sa vie avec une force passionnée emballe littéralement le texte. Face à ce talent fait de feu et de flammes, sa rivale pourrait paraître fade. Mais, la jeune première, Cassandre Vittu de Kerraoul, dans le rôle de Madeleine montre de l’autorité, du charme et tire parfaitement son épingle du jeu grâce à un naturel parfait.

Nous devons être honnête en expliquant que certains spectateurs (dont moi-même) redoutions la prestation de Yvan Le Bolloc’h. Nous sommes ici très loin de l’univers de Caméra Café (du moins je le pensais) et du ton gouailleur façon gavroche parisien, que cet animateur devenu acteur emploie. Il nous faut donc faire un mea culpa complet ! Notre héros est littéralement étonnant, impressionnant par son jeu dynamique et sincère, son rythme, son phrasé travaillé sans que nous spectateurs, ressentions ses efforts. Naturel, mettant en valeur ses partenaires, gardant une vraie séduction tout en jouant de sa personnalité déjantée, il montre un vrai professionnalisme.

Mais n’oublions pas que cette troupe comporte douze personnes… Loin de se fondre dans le mécanisme de l’intrigue, ces acteurs se révèlent tous à la hauteur. Ainsi, Pierre-Olivier Mornas, dans le rôle de Lornois pourrait n’être que le faire-valoir de Yvan Le Bolloc’h. Avec son jeu généreux, il met en relief un personnage d’ami observateur dépassé mais fidèle. Des valeurs sures du théâtre expérimentées, heureusement non blasées viennent mettre leur grain de sel, comme Jean-Marie Lecoq, Urbain Cancelier, Catherine Chevallier, ou encore Michel Lagueyrie et Gérard Chaillou. Solides, ils apportent le petit plus de complicité nécessaire qui fait que nous nous sommes séduits par la drôlerie du texte. Une petite mention spéciale pour la prestation désopilante de Jean-Louis Barcelona, dans le rôle du piteux La Chevillette.

Enfin, cerise sur le gâteau… les trois décors et les costumes. Stéfanie Jarre (dont nous avions pu admirer le talent pour ses créations dans La petite boutique au coin de la rue) fait preuve d’un souci du détail, avec un plaisir évident dans le choix soigné des objets et des couleurs de cette époque, tout en utilisant avec intelligence l’espace pour permettre à la mise en scène d’accélérer le rythme. Les habits des acteurs (créé par Emmanuel Peduzzi) réussissent à être aussi superbes que ridicules, leurs flamboyantes couleurs qui traversent la scène avec enthousiasme et démarches appuyées.

Ainsi, le succès tient ici par la grâce d’une troupe soudée dont on sent le plaisir du début jusqu’à la fin. Nous passons notre temps à rire en pensant « Quel crétin ! » ou « Quelle cinglée ! » et il est vrai qu’il ne faut pas aller chercher beaucoup plus loin. Mais, en ces temps plutôt maussades, voici un spectacle pour tous âges, un divertissement destiné à tous, alors autant ne pas faire la fine bouche et s’amuser pendant deux heures réjouissantes !

Fiche Technique

Décor : Stefanie Jarre
Costumes : Emmanuel Peduzzi
Musique : Patrice Peyrieras
Mise en scène : Alain Sachs
Assistance à la mise en scène : Corinne Jahier
Représentations : du mardi au vendredi à 20h30 et samedi à 17h et 21h
Adresse : Théatre Antoine – 14, bd de Strasbourg – 75010 Paris
Métro : Strasbourg – Saint-Denis
Tarifs : 52, 40, 32, 17 €. Moins de 26 ans les mardis, mercredis et jeudis 10€.