Le langage de la nuit – Avis +

Présentation de l’éditeur

En 1979, Ursula K. Le Guin est au sommet de sa gloire : ses romans de science fiction et de fantasy se sont imposés comme des chefs d’œuvres et elle est une des romancières américaines les plus primées. Toutefois, parallèlement à ces succès publics, elle a la réputation d’être une théoricienne hors pair, et une oratrice remarquable.

Elle parcourt alors universités, congrès, bibliothèques et librairies pour parler des sujets qui la passionnent : le féminisme, l’anarchisme, le rôle humaniste de la littérature, et, surtout, la fonction des littératures de l’imaginaire. Le Langage de la nuit est le recueil d’essais littéraires qui résument sa pensée et composent un manifeste pour l’imaginaire, car si nous pensons et parlons le jour, la moitié de notre vie se passe la nuit, où se réfugient la poésie et l’imaginaire.

Pourquoi les littératures de l’imaginaire ont cessé, au vingtième siècle, d’être le cœur de la littérature ? Que permet la science-fiction ? Quelle est la place de la littérature jeunesse dans la littérature ? Autant de questions qui occupent les lecteurs depuis cinquante ans et qui trouvent des réponses dans ce volume, préfacé par le romancier Martin Winckler, fin connaisseur de la science-fiction, et grand admirateur de l’humanisme merveilleux de Le Guin.

Avis d’Emilie

Quel plaisir de pouvoir enfin lire en français les réflexions d’Ursula Le Guin ! On la sait fabuleuse théoricienne, engagée sur de nombreux sujets, littéraires ou non. Si elle est connue en France grâce à ses romans, on ignore souvent qu’elle est également conférencière de talent. Ce livre permet donc une précieuse découverte.

L’ouvrage débute par une préface de Martin Winckler. Le lecteur s’en étonnera sans doute un peu, car on connaît l’auteur, également médecin, surtout pour son engagement envers la transparence du milieu médical, l’écoute et le respect des patients. Toutefois, ce romancier est aussi grand amateur de science-fiction, et profondément humaniste, ce qui fait de lui un préfacier privilégié pour ce livre.

Il nous parle durant cinq pages de ses premières expériences avec la science-fiction, justement avec deux romans d’Ursula Le Guin : La main gauche de la nuit et Les dépossédés. Il a été séduit par ses écrits, à la fois dans la lignée du genre, en grande partie définit par Tolkien, mais qui parvient à être suffisamment différent pour pouvoir être lu comme de la science-fiction. Il la rencontrera en 1996, lors d’un festival canadien, mais ratera l’occasion de lui poser la question, si banale et si extraordinaire qui le taraude, à savoir, d’où viennent ses histoires. C’est donc avec un plaisir immense qu’il nous offre cette préface simple, humble et enrichissante.

Le premier essai qui nous est proposé s’intitule Une citoyenne de Mondath. Elle y raconte la révélation que fut la lecture de Dunsany. Adolescente, elle s’étonne qu’un adulte puisse inventer des mondes pour le plaisir d’autres adultes. Cette réflexion la mène à Tolkien, et elle pense qu’elle a eu de la chance de ne le découvrir que dans sa vingtaine. Si elle l’avait lu plus jeune, cela lui aurait paru impénétrable, et elle serait sans doute passée à côté de quelque chose d’important.

On poursuit avec Pourquoi les Américains ont-ils peur des dragons ?. Ici, on parlera plutôt de fantasy et le censure moralisatrice dont elle est souvent victime. Ursula Le Guin explique cela par le fait qu’on ne lit de la fantasy que par plaisir. Ce n’est pas un travail (dites-le aux chroniqueurs-euses d’Onirik !). En ce sens, c’est s’amuser, et par association, c’est pécher. L’Amérique est puritaine. Cet essai est discutable. On peut tout à fait n’être pas d’accord avec cette explication. Mais on ne peut nier que le genre est décrié et méprisé. Le Guin donne ensuite quelques pistes pour se défendre et défendre les genres de l’imaginaire, bénéfiques à l’imagination.

Dans Les rêves doivent pouvoir s’expliquer tous seuls vient le thème de l’inspiration de l’auteur. Le Guin explique ici pourquoi la lecture est indissociable de l’écriture. L’inspiration ne vient pas de nulle part, elle doit être entretenue.

On a droit à une petite pause dans la réflexion avec le Discours de réception du prix National Book Award. Comme vous l’aurez deviné, il s’agit d’une retranscription d’un discours. C’est frais et dynamique.

On enchaîne avec L’enfant et l’Ombre, où l’on considère les contes de fées comme élément d’apprentissage et d’initiation à la fantasy et la science-fiction. Ce point de vue intéressant est fort bien exploité et expliqué. La narratrice part d’un conte et l’explique – façon commentaire composé – en quoi il éduque les enfants.

Le titre de l’essai suivant se suffit à lui-même : Mythes et archétypes en science-fiction. Après une définition quelque peu surprenante du terme mythe, l’auteur enchaîne sur les origines des sujets récurrents en science-fiction, depuis l’Antiquité.

Vient ensuite une étude des elfes, avec Du pays des Elfes à Poughkeepsie. On considérera l’image des elfes, comme vrais seigneurs de l’humanité, qui permettent une distanciation fantasmée d’un monde parfait, véritable réserve naturelle. Un point de vue qui nous fait grandement réfléchir.

On retracera l’histoire de la science-fiction américaine, puis on la comparera aux autres nationalités productrices de ce genre dans La science-fiction américaine et l’autre. Curieusement, cet essai débutera par la revendication féministe de Le Guin. Toutefois, si cela peut surprendre, le lecteur comprendra rapidement pourquoi SF et féminisme vont de pair.

Logiquement, on poursuit avec un le plus long essai du livre, Madame Brown et la science-fiction, en grande partie centré sur Virginia Woolf.

Les meilleures choses ont une fin. Ce livre se clôture avec La cosmologie pour tous, qui parle de l’obligation de crédibilité scientifique en science-fiction.

Alors que le mot essai peut sembler effrayant, qu’on se rassure, l’ouvrage est merveilleusement accessible. Le Guin conserve dans ses essais la même fluidité que dans ses romans. La structure narrative permet une compréhension aisée. Les réflexions sont organisées autour de souvenirs et anecdotes personnelles qui nous parlent et trouvent une résonance en nous.

Le Guin le dit, il est impossible de dissocier l’écriture de la lecture. C’est donc avec délectation qu’elle nous parle de ses lectures, de ses influences, et que nous voyons notre PàL (pile à lire) s’allonger, et s’allonger, et qu’on se dit qu’on n’aura pas assez d’une vie pour lire tout ce qui nous fait envie.

Cet ouvrage est tout simplement indispensable à tout lecteur de fantasy et de science-fiction, mais pas que. Si connaître les œuvres de Le Guin peut être un plus (soyons honnêtes : c’est même une nécessité de lecteur !), ces essais portent sur la lecture, l’écriture, la place des femmes dans la littérature…

Autant de thèmes qui peuvent se rapporter à tout type de genres littéraires, peu importe son genre. On sortira de cette lecture grandit, l’esprit plein de nouvelles idées et de pistes de réflexions qui nous permettront de lire et découvrir avec un œil nouveau.

Fiche technique

Format : broché

Pages : 155

Éditeur : Les Forges de Vulcain

Collection : Essais

Sortie : 20 octobre 2016

Prix :12 €