Le MacGuffin, où lorsque tout gravite autour du rien !

Certains diront qu’un bon romantic suspense, que ce soit un film ou un livre, doit comporter un équilibre parfait entre l’aspect sentimental et la partie thriller et lorsque l’un prend le pas sur l’autre, cela nuit à la qualité. Je ne suis pas du tout d’accord ! En fait, lorsque l’oeuvre est bonne, on peut tout faire accepter au spectateur ou au lecteur. Certains auteurs créent une toile d’araignée compliquée, ingénieuse et même si intéressante que les relations intimes entre les personnages passent au second plan, et nous ne nous en portons pas plus mal, alors que d’autres choisissent d’utiliser sans aucun complexe, le MacGuffin, élément fétiche d’Alfred Hitchcock. Voici comment il le définit dans les entretiens qu’il a eus avec François Truffaut :

«C’est un biais, un truc, une combine, on appelle ça un “gimmick”. Alors voilà toute l’histoire du MacGuffin. Vous savez que Kipling écrivait fréquemment sur les Indes et les britanniques qui luttaient contre les indigènes sur la frontière de l’Afghanistan. Dans toutes les histoires d’espionnage écrites dans cette atmosphère, il s’agissait invariablement du vol des plans de la forteresse. Cela, c’était le MacGuffin. MacGuffin est donc le nom que l’on donne à ce genre d’action : voler… les papiers, voler… les documents, voler… un secret. Cela n’a pas d’importance en réalité et les logiciens ont tort de chercher la vérité dans le MacGuffin. Dans mon travail, j’ai toujours pensé que les papiers, ou les documents ou les secrets de construction de forteresse doivent être extrêmement importants pour les personnages du film mais sans aucune importance pour moi, le narrateur (…) un phénomène curieux se produit invariablement lorsque je travaille pour la première fois avec un scénariste, il a tendance à porter toute son attention au MacGuffin et je dois lui expliquer que cela n’a aucune importance».

Un écrivain comme Anne Stuart est une fervente adepte du MacGuffin. Son dernier roman Fire and Ice est une variation des Trente-Neuf marches de Hitchcock (et non pas du roman de John Buchan duquel a été adapté le film !). L’héroïne se trouve au mauvais endroit au mauvais moment, on veut l’enlever pour faire pression sur son beau-frère (sauf que l’on n’en saura jamais la raison), les deux héros se retrouvent en huis-clos (qui, si l’on réfléchit bien, aurait pu être facilement évité), toute l’action se situe dans l’intensité de leurs relations, ponctuées de meurtres de méchants qui servent plus à l’intrigue sentimentale qu’à l’intrigue tout court, car on ne sait franchement pas trop et pourquoi tout cela a lieu, le contexte étant réduit au minimum syndical, sans que franchement, vraiment honnêtement, cela ait une quelconque importance. Le MacGuffin ici est au service de la relation sentimentale !

Certains ont notamment reproché à Anne Stuart dans Lune rouge, de créer des terroristes dont on ne sait ce pourquoi et contre qui ils agissent, se déplaçant pour on ne sait quelle raison alors que l’ordinateur ou les fax pouvaient leur donner une réponse à une question qui n’a d’ailleurs de l’importance que pour eux… Mais pourquoi nous donner des détails qui de toute façon ne nous intéressent pas vraiment, ralentissent le rythme et dont on oubliera le pourquoi et le comment aussi vite qu’ils sont mentionnés ? Est-ce que l’action doit reposer obligatoirement sur une vraie réalité installée ou bien l’auteur doit avoir seulement le talent de nous faire ressentir une atmosphère de danger, de tension dramatique ?

Cependant, il faut alors jouer au plus fin avec le MacGuffin et ne pas choisir la facilité au détriment du lecteur. C’est une des faiblesses d’un auteur comme Linda Howard. Ainsi, dans son roman Oeil pour oeil, quelqu’un cherche à tuer l’héroïne. Or, tout au long de l’histoire, elle ne nous apportera aucun élément ou possible suspect pour nous mener sur la piste. Pourquoi pas ? Pour moi, cela ne pose aucun problème, le MacGuffin se définit alors ainsi : elle a un assassin à ses trousses pour une raison dont on se fiche complètement, ce qui permet aux deux héros de passer leur temps collé l’un contre l’autre alors que les balles fusent de partout. Mais là ou le bât blesse, c’est qu’au dernier moment, Linda Howard fait apparaître l’assassin (le seul qui se présentait et que la police aurait pu interroger sans problème et découvrir dans la foulée) et la fin vire au ridicule, faisant retomber l’histoire dans une réalité qui ne le nécessitait pas, et soudain, les incohérences dont on n’avait que faire nous sautent au visage ! Il aurait été nettement plus intelligent de créer un tueur inconnu qui expliquait son geste par le fait que notre héroïne avait été témoin d’un quelconque crime sans même le comprendre…

Dans Une femme disparaît de Alfred Hitchcock (et oui, encore !) l’intrigue est basée sur les huit premières mesures d’une musique fredonnée par une vieille dame, qui doivent être retenues par les deux héros pour les transmettre au Foreign office. Nous ne saurons rien de ce que cela signifie, à quel domaine cela touchait ou qui espionnait quoi. Franchement, comment ce prétexte extravagant peut-il tenir debout pendant tout le film sans que cela ne nous amène à y réfléchir quelques secondes ? Parce que nous nous focalisons sur les chamailleries et l’amour naissant entre les deux héros, les rebondissements pour échapper à leurs ennemis, et des personnages secondaires passionnants ! Si vous saviez le nombre de livres de cinéma dans lesquels j’ai vu cataloguer ce film sous l’étiquette « espionnage » !

Hitchcock appliquera ce principe dans la plupart de ses films… Un des exemples les plus frappants est l’intrigue de l’Homme qui en savait trop, notamment la deuxième version réalisée en 1956. Une petite famille américaine est en vacances au Maroc. Alors que la mère, une chanteuse assez connue (heu… Doris Day, tout de même) lie connaissance avec un français (Daniel Gélin), encouragé par le père un charmant monsieur tout le monde, James Stewart, voici le mystérieux Français assassiné pour on ne sait quelle raison, et le fils du couple est enlevé pour éviter qu’ils ne dévoilent… on ne sait quoi, mais ce qui se révélera être un assassinat politique concernant une nation inconnue… encore et toujours le strict minimum seulement présent pour susciter la tension et le rythme. Hitchcock ira même jusqu’au bout de l’absurde, la même année en réalisant un de ses films les moins connus : Mais qui a tué Harry ? Nous sommes dans un petit village en pleine campagne, un homme mort est trouvé sous un tas de feuilles à l’orée du bois. Or, tous les personnages qui l’approcheront trouveront une raison pour le déplacer, le contourner, se suspecter… jusqu’au final ou il s’avère qu’il s’agissait d’une mort naturelle. Le MacGuffin s’évapore !

Ne croyez pas que seul Alfred Hitchcock utilise ces procédés. Certains des plus grands films reposent ainsi sur du vide absolu. Tout le monde s’entretue pour s’emparer d’une statue d’une valeur inestimable (Ah bon, pourquoi ?) dans Le faucon maltais de John Huston… Personne ne sait jusqu’à la dernière minute ce qui a été placé dans une mystérieuse boite que tout le monde essaye de s’approprier dans En quatrième vitesse, le film culte de Robert Aldrich. Si dans le roman, il s’agissait d’un classique paquet de drogue, le scénariste Al Bezzerides [[dont j’ai pu voir l’interview la semaine dernière dans l’émission Cinémas-Cinémas]] a la géniale idée d’y mettre lui, une bombe atomique qui explose dans les dernières secondes, scénario totalement improbable, irréaliste, qui pourtant nous laisse scotché sur notre fauteuil de saisissement. Mais la palme d’or du scénario que personne, je dis bien personne (il existe de nombreux mémoires dans les classes du cinéma pour tenter de l’expliquer) n’a jamais compris, c’est Le grand sommeil de Howard Hawks, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall. Trois scénaristes y ont travaillé séparément dont William Faulkner. A un moment, nous ne savons même plus qui est mort ou qui ne l’est pas, le film ayant été remonté plusieurs fois, avec des scènes qui n’ont aucun rapport les unes entre elles. Et pourtant, cette enquête policière est un des plus grands films noirs du cinéma, notre attention étant focalisée sur le couple vedette, les dialogues sulfureux et brillants, l’atmosphère envoutante !

Il faudrait qu’on prenne le temps de nous expliquer ce que Robert Redford avait découvert de si dangereux pour que tous ses collègues se fassent assassiner dans Les trois jours du Condor de Sydney Pollack ! Dans Seule dans la nuit de Terence Young, le premier plan commence par un inconnu qui bourre de drogue (on le devine…) une poupée en chiffon, qu’une femme va tenter dans le plan suivant de faire passer à la douane d’un aéroport canadien. Mystérieusement menacée, elle glisse l’objet dans les bagages d’un homme qui rentre chez lui où son épouse, aveugle (Audrey Hepburn) l’attend. On éloigne deux minutes plus tard le mari et la femme devra faire face à trois assassins pendant tout un week-end alors qu’ils tenteront tout pour récupérer la poupée… avec un suspense à faire froid dans le dos, mais à aucun moment, une seule réponse ne nous sera apportée s’agissant d’un seul des membres de l’organisation criminelle. Tout est axé sur notre héroïne qui va devoir redoubler d’ingéniosité pour échapper aux meurtriers !

Si nous sortons du romantic suspense pour entrouvrir la porte au film d’aventures, le MacGuffin tient fièrement sa place. Si je vous dis : Un diamant vert, Une panthère rose, L’arche perdue… vous savez bien évidemment ce que sont ces objets, leur provenance même puisque c’est expliqué en deux phrases au début des histoires. Seulement, après, pour savoir comment les personnages se retrouvent sur la piste de ces trucs mystiques improbables… vous entendez inévitablement la phrase récurrente, «Nous avons perdu sa trace, mais soudain un jour, “on” nous a raconté que...» “On” devrait se présenter sous son vrai nom, MacGuffin !

Suivant la qualité du divertissement, de la tension de l’intrigue, mais aussi si nous sommes passionnés parce qui se passe sur l’écran, ou en lisant un roman, on peut nous faire avaler des énormités sans sourciller. Si le manque de réalisme nous agresse, si nous faisons attention aux anachronismes, c’est que le réalisateur, le scénariste, l’écrivain ont perdu leur pari. Il en est du MacGuffin comme du détail qui tue. Si vous en êtes gênés, c’est que votre attention n’est pas suffisamment focalisée sur autre chose. Il est au service du film mais ne doit en aucun cas vous interpeller… car il ne vous concerne pas !

Rassurons-nous, amateurs de films et de livres pour qui, la raison pour laquelle le portrait de Dorian Gray ne vieillit pas, ou qui se fichent de savoir si la potion trouvée par le Docteur Jekyll a un goût d’orange, les mêmes qui plus tard se moqueront de connaître le pourquoi du vert chez Hulk, ou qui ne cherchent même pas à comprendre ce que vient faire Rick Moranis en maître des clés dans Ghosbusters, ou encore revivent indéfiniment le même deux février, jour de la marmotte avec Bill Murray dans l’excellentissime Un jour sans fin de Harold Ramis, sans se demander pourquoi tout a commencé, peuvent se dire que le MacGuffin a encore de belles années devant lui !