L’auto-cannibalisme de la télévision

Dans la mythologie grecque, Cronos dévora ses enfants parce qu’une prophétie lui avait annoncé qu’un d’eux le tuerait. Cronos, le temps[[dans les traditions tardives]], mange ses enfants pour ne pas vieillir, pour ne pas mourir.

Plus proche de nous Stephen King dans sa nouvelle Le Goût de vivre nous conte l’histoire d’un homme sur une île qui s’ampute peu à peu de ses membres et les mange faute de mieux pour se nourrir.

Dans ces deux récits, cela finit mal pour le dévoreur. Cronos sera bien tué par Zeus que sa mère Rhéa a protégé et l’homme qui s’autodévora passa de vie à trépas.

La logique voudrait qu’on en tire une leçon générale : cannibaliser sa descendance ne nous empêche pas de vieillir, se cannibaliser soi-même ne nous fait pas survivre. Mais la télévision brise cette logique.

Il suffit de regarder une grille de programmes pour voir que quelques soient les chaînes, les émissions de télévision qui parlent de la télévision sont pléthores.

Tout d’abord la télévision du passé avec par exemple les bêtisiers ou les fameuses « casseroles » d’une émission bien connue. La télévision du futur avec les programmes censés dénicher les talents de demain qui serviront ensuite à alimenter les chroniques peoples télévisuelles (mais pas seulement). La télévision du présent avec les zappings, les émissions commentant d’autres émissions, et les émissions commentant les émissions qui commentent d’autres émissions.

On peut continuer longtemps de la sorte. C’est une spirale sans fin. La télévision se nourrit d’elle-même en permanence et cela ne semble pas prêt de s’arrêter.

Pour les artistes, hommes politiques, personnages publiques en tous genres qui cherchent à faire passer un message, on comprend que la difficulté est d’entrer dans la danse, ou plutôt d’être dévoré une première fois. Ensuite, il n’y a plus qu’à attendre d’être régurgité et re-dévoré, en boucle. Jusqu’à épuisement du potentiel en nutriments télévisuels de ceux qui sont ainsi ruminés.

La quête de nouveautés de la télévision n’est ainsi donc pas dirigée vers le public, dans l’intention d’ouvrir de nouveaux horizons, de développer l’esprit critique, mais vers elle-même. Non que le public n’intervient pas, au contraire, c’est lui qui participe à la bonne rumination du bovin télévisuel. Mais son rôle s’arrête là.

Comme dans Frankenstein, nous avons créé un monstre qui nous échappe et nous manipule. Pour s’en assurer il suffit de voir combien de démentis ou d’excuses sont faits suite à de fausses informations diffusées. Ce pourcentage approchant de zéro, cela signifie que soit ce qui passe à la télévision est toujours vrai, soit qu’il y a un gros problème.