Interview de Philippe Zytka

Onirik : Votre premier album La Nuit des paras porte le sous-titre 5 juin 1944. Est-ce pour le différencier de l’ouvrage de Jean Mabire La Nuit des paras juin 1944 ?

Philippe Zytka : Je connais le livre de Jean Mabire. Mais moi je n’avais pas mis de sous-titre. C’est l’éditeur qui l’a ajouté quand il a réalisé la maquette. Il a mis 5 juin 44 parce que les tous premiers parachutistes anglais sont arrivés aux dernières heures du 5 juin 44.

Onirik : Quelle est la genèse de cet album ?

Philippe Zytka : En fait j’ai voulu me lancer dans l’écriture de bande-dessinée avec pour objectif de faire uniquement de la BD historique. J’ai contacté par internet le dessinateur Gerardo Balsa. Nous avons monté un projet qui ne s’est pas fait.

Il est revenu me voir quelques années plus tard. Il voulait dessiner d’après un scénario sur la Seconde Guerre mondiale et avec des avions. Nous étions à un an et demi des commémorations du 65e anniversaire du Débarquement. Comme je suis Normand d’origine l’histoire du Débarquement fait partie de mes gènes. Aussi j’ai trouvé sympa de réaliser une BD historique autour du Débarquement.

Je fais partie d’une association en Normandie qui accueille des vétérans anglais. J’ai côtoyé les gens qui avaient fait cette histoire. L’idée était de réaliser un livre historique en bande-dessinée. Mais il ne s’agissait pas de raconter l’histoire d’un personnage fictif qu’on aurait placé dans la grande Histoire. Tous les personnages qui se trouvent dans La Nuit des paras et dans Commando Kieffer ont tous existé. De même tous les faits qui ont été racontés ont vraiment eu lieu.

Pour réaliser un bouquin pour le 65e anniversaire du débarquement Gerardo et moi avons monté un dossier qui a été refusé par toutes les grandes maisons d’édition. Elles trouvaient que le ce sujet n’était pas intéressant. Depuis on voit la profusion de BD à caractère historique que les éditeurs font à droite et à gauche. On arrivait 18 mois avant avec un produit calibré pour les commémorations du Débarquement et les éditeurs se sont réveillés 8 mois avant et ont sorti des produits… qu’on ne trouve plus nulle part.

Nous nous sommes tournés vers un petit éditeur local en Normandie qui nous a fait miroiter une publication. Au bout de quelques mois on a bien vu que cela ne se ferait pas. Donc on a cru que l’album était mort et enterré et puis j’ai découvert des albums historiques édités par les éditions du Triomphe. En regardant leur catalogue je me suis rendu compte qu’il n’y avait rien sur la Seconde Guerre mondiale. Ils étaient un peu spécialisés dans tout ce qui était biographie de personnages religieux, ainsi que dans des BD historiques.

On leur a envoyé le projet et en 48 heures on avait un accord. C’est ainsi que nous avons réalisé l’album qui est sorti pour le 66e anniversaire du Débarquement.

Pour Kieffer, c’était un peu le même principe. Quand La Nuit des paras a été faite le Normand, fan d’Histoire que je suis, s’est demandé s’il y avait un moyen de raconter la Seconde Guerre mondiale par la bataille de Normandie et la libération de l’Europe. Il ne s’agissait pas de le faire de manière chronologique comme on a l’habitude de le voir régulièrement, mais à travers l’histoire d’unités célèbres qui ont joué le rôle un peu particulier. C’est ainsi qu’après les parachutistes anglais, on trouve les fameux Commandos Kieffer que les gens connaissent un petit peu car ils apparaissent dans le film de Zanuck Le jour le plus long. Cela permettait de raconter d’autres choses par une suite un peu logique de La Nuit des paras en espérant que la sauce prenne auprès de l’éditeur.

Onirik : Comment s’est déroulée la collaboration avec Marcel Uderzo ?

Philippe Zytka : Après La Nuit des paras, Balsa est parti travailler chez un autre éditeur spécialisé[[cet auteur argentin réalise en ce moment la BD U.47 aux Éditions Zéphyr]]. En discutant avec des copains dessinateurs l’un d’eux m’a informé que Marcel Uderzo cherchait des projets. La Seconde Guerre mondiale qu’il avait vécue dans son enfance est une période qui l’intéresse. Nous sommes parti dans une collaboration qui a duré presque 18 mois.

Marcel a fait une planche d’essai sur la Bataille de France et finalement l’éditeur a décidé de faire Kieffer avec toute la documentation que cela implique. Le fait d’avoir des bande-dessinées oblige à avoir une documentation très précise.

Onirik : J’ai un doute sur quelques détails, par exemple la taille de la mitraillette Thompson.

Philippe Zytka : Un dessinateur travaille 12 à 15 heures par jour. Aussi on peut avoir des erreurs de proportion. L’album a été vu par des anciens Commandos de Kieffer dont Léon Gautier un des derniers survivants, d’anciens commando-marines et la préface est celle du vice-amiral Prazuck qui commande aujourd’hui la force des fusillier-marins commandos. Tant que l’esprit est respecté ça va, on peut avoir une mitraillette un peu longue par rapport à ce qu’elle devrait être.

Onirik : Avez-vous d’autres projets de bande dessinée ?

Frontière jaune est une BD d’aventure actuellement en cours de réalisation par la dessinatrice Juliette Derenne[[Le 22e jour de la Lune (Édition de l’Emmanuel), Les Oubliés (Bamboo), La Reine Margot (Theloma)]]. L’album sortira en janvier 2014 aux Éditions Cleopas. Cela commence à la fin de la guerre civile russe en 1920 à Petrograd ville qui ne s’appelle pas encore Saint-Petersbourg et où le héros, un Russe Blanc, va se retrouver par la force des choses en Chine à l’époque des Seigneurs de guerre.

Les Échappés vont sortir au mois de mai 2013 aux Éditions Soleil[[sur un dessin de Laurent Seigneuret : Le Trésor du temple (Glenat), L’Affaire Marie Besnard (De Borée)]]. Les deux premiers épisodes se passent en 44 en Normandie. Les héros sont deux pilotes de planeur dont l’appareil va s’écraser derrière les lignes ennemies dans la nuit du 5 au 6 juin 44.

Les Lions de Maczek est une BD en souscription des lecteurs. Elle aura pour sujet la première division blindée polonaise. J’aurais aimé la voir dans la même collection que La Nuit des paras et Commando Kieffer mais un éditeur est obligé de faire des choix.

Comme c’est un sujet qui me tient parfaitement à coeur ainsi qu’au dessinateur Jeff Baud[[Une aventure de Doménico (Tartamudo), Renart (Clair de Lune) Anecdotes – Ni bête ni têtu, Histoires et légendes normandes, Le Mont Saint-Michel histoires et légendes (Association l’Eure du Terroir)]], nous cherchons 500 souscripteurs pour la somme qui doit servir à imprimer l’album. On ne sera pas payé pour ce travail et on se donne jusqu’au mois d’avril 2013. Économiquement c’est une façon viable de faire de la BD. Il n’est pas exclu que d’autres albums voient le jour avec ce qui va devenir un mode de financement alternatif de plus en plus répandu, en raison des choix éditoriaux qui consistent à se contenter de se focaliser sur des succès ou des choses préexistantes.

J’ai également en projet Dofus Monster Koulosse[[Laurent Libessart a dessiné Le casque d’Agris, Moréa, Sphères (Soleil), Tout a commencé par un café (Éditions Armée du salut)]] qui va sortir chez Ankama au mois d’avril. Cet album au format manga est quasiment terminé.

Onirik : Quelles sont vos sources d’information ?

Philippe Zytka : Pour La Nuit des paras j’ai lu beaucoup de livres. Mais la base des informations ce sont toutes ces rencontres avec les paras. Cela fait 18 ans que je fais partie d’une association Le mémorial de la 3e Brigade parachutiste qui s’occupe d’accueillir et d’organiser des commémorations pour les vétérans britanniques. J’ai appris beaucoup de choses de par mes rencontres avec les vétérans, par exemple Tewrence O’Twell.

Mais surtout, j’ai pu longuement discuté avec James Hill, le commandant de la 3e Brigade qu’on voit dans l’album bombardé par la Royal Air Force. J’ai fait un documentaire sur lui. Il m’a raconté l’anecdote de son chauffeur de jeep qui le ramenait à son QG et l’a laissé au milieu de la campagne tout seul. Pendant ce temps son chauffeur était parti en jeep à la poursuite de trois Allemands qu’il avait vu au milieu des champs.

Pour Commando Kieffer, j’ai été obligé de lire beaucoup de livres et de procéder à des recoupements. On se rend compte que dans les livres de mémoires, il y a beaucoup de choses qui concordent, mais aussi des discordances de dates ou bien concernant ceux qui étaient présents ou non. L’idée n’est pas de procéder à une réécriture de l’Histoire. La version et les documents officiels prévalaient.

Les Échappés est une aventure que je souhaite ancrée dans une réalité. J’ai récupéré des tas de rapport de briefing de pilotes de planeur et de parachutistes qui s’étaient trouvés largués derrière les lignes ennemies et qui s’en étaient échappés. C’est d’ailleurs comme cela qu’on appelait ceux qui avaient réussi à rejoindre les lignes amis : les Échappés (ceux qui avaient été prisonniers et s’étaient échappés étaient appelés les Évadés.

J’ai réalisé le documentaire Tombé du ciel que j’ai autoproduit puisqu’à l’époque (le 60e anniversaire du Débarquement) aucune chaîne de TV n’en a voulu. Je l’ai réalisé sur fond propre. Il a été projeté au mémorial de Caen à l’occasion des cérémonies officielles du 61e anniversaire du Débarquement en 2005. Il en existe une version DVD qui se vend très bien en Normandie, notamment au musée de Grandville.

Ce documentaire tourne en établissement scolaire ou à l’occasion de rencontre de soirées projections & débats, d’associations d’anciens combattants, soit à destination des scolaires, soit à destination du grand public. Il n’est pas exclu qu’à l’occasion du 70e anniversaire soit réalisée une nouvelle version avec un remontage pour une chaîne du câble ou de la TNT. Il n’y a rien d’officiel pour le moment. C’est juste une possibilité.

Onirik : Avez-vous des projets plus lointains ?

Philippe Zytka : Les quatre albums signés sont prévus pour 2013-2014. Je travaille actuellement à l’écriture d’autres projets. Parmi eux se trouvent un récit de science-fiction et un western. Vu l’état de l’édition aujourd’hui, il faut proposer des choses aux éditeurs.

Onirik : Quel est l’état de l’édition en France ?

Morose, les éditeurs paient les auteurs (qu’ils soient dessinateurs ou scénaristes) au lance-pierre. En 15 ans, l’auteur de BD est à ma connaissance le seul travailleur qui a vu ses revenus diminuer de moitié. Il y a de plus en plus de dessinateurs et de scénaristes qui sont prêts à tout pour avoir un album publié. Aussi ils sont prêts à accepter des conditions qui tirent vers le bas les prix du marché.

Onirik : Pourquoi être passé au fantastique avec l’univers de Dofus ?

Philippe Zytka : Je n’ai pas envie de me spécialiser dans l’Histoire, même si j’aime ça et a priori il y aura un fond historique dans mes albums. Laurent Libessart avait un contact chez Ankama et j’ai pensé que cela pourrait être rigolo d’écrire. Je ne jouais pas au jeu Dofus. Je le connaissais un peu de par mes enfants.C’est un univers que j’ai découvert au fur et à mesure de l’écriture de l’album et finalement c’était assez plaisant.