D’un bureau – Avis +

Résumé

Dans cette pièce écrite en 2003 pour deux actrices et trois acteurs, trois personnages (Ubos, Upac et Zebu) sont paniqués par des ennemis inimaginables. Ils détiennent prisonnier un quatrième personnage (Ekli). Opposé à eux, ce dernier est finalement séduit par le propos d’Ubos. Quand une enfant mystérieuse (Etty) arrive dans un jugement ultime.

Cette pièce est apparue grâce à l’oeuvre d’Etty Hillesum née le 15 janvier 1914 aux Pays-Bas, et assassinée le 30 novembre 1943 à Auschwitz.

Avis de Marnie

Le devoir de mémoire est un sujet à la mode. Cette expression utilisée un peu pour n’importe quoi est souvent suivie de la phrase : « pour que la barbarie ne recommence pas ». Malheureusement, au vu des massacres et autres guerres qui se perpétuent depuis la Shoah, nous pouvons affirmer que la méthode ne fonctionne pas… Le dramaturge Frédéric Bance nous apporte une réflexion autour de la “notion” du devoir de mémoire pour démonter tous les mécanismes qui gravitent autour. Nous pouvons affirmer que sa démarche est réussie, percutante, avec peut-être quelques effets grandiloquents que nous oublions rapidement tant le sujet est porteur d’une réflexion passionnante.

Un premier point agréable, c’est que l’auteur ne s’écoute pas philosopher, mais exprime des pensées avec une écriture simple, certaines fois volontairement primaire suivant le personnage choisi, répétitif comme pour mieux marteler le cerveau embrigadé d’un autre, cynique, pervers et déformant d’un troisième, ou encore engagé et idéaliste se laissant aller peu à peu à la compromission pour le quatrième… Tout est assez tranché, mais c’est un aspect positif, puisque cela nous entraîne dans les méandres de chaque raisonnement poussé jusqu’à son absurdité.

Soudain, alors que chacun des quatre personnages s’est découvert dans sa tranquille (et différente) monstruosité ordinaire, que l’oubli ou la mémoire sont évoqués pour mieux être opposés à la récupération que chaque époque peut en faire, ou encore à l’engourdissement de la pensée provoquée par les progrès technologiques et le confort matériel, voici soudain l’arrivée de la lumineuse Etty… de retour des camps, dont le poétique et « pur » témoignage est présent pour réveiller les consciences et offrir soudain une autre perspective au devoir de mémoire !

La mise en scène de Ezzedine Sassi insiste sur les effets dramatiques comme pour mieux assener le message (certaines fois lourdement) se joue aussi de la contradiction, comme le tic tac de la pendule opposé à l’aspect fable intemporelle soulignant la mémoire qui s’enfuit inexorablement. Cette mise en scène accentue le réalisme poétique souhaité par l’auteur, appuyant sur les travers des quatre protagonistes, leurs doutes, réflexions plus ou moins orientées, plus ou moins profondes pour en souligner leurs contradictions.

L’interprétation des cinq personnages est homogène, chacun possède son propre style, ses marques, sa présence… chacun est inoubliable à sa façon. Nous apprécions autant la performance pleine de fougue de Garance Brin (Upac, le « monstre » ordonné), que celle de Julien Balthazar (Ubos, le « monstre » actif) tentateur « charismatique » à glacer le sang. Nicolas Centonze (le « monstre » engagé) joue parfaitement avec son physique de résistant passionné très cinématographique, qui peu à peu se laisse endormir, de compromissions en lâcheté ordinaire. Pour interpréter Zebu, le « monstre » naïf, Lionel Laget joue à merveille avec sa spontanéité, ce qui avec raison le fait remarquer par les spectateurs, séduits par ce personnage qui se révèle dangereusement attachant… Enfin, Diane-Charlotte Simon (Etty, la survivante) illumine littéralement la scène de sa présence éthérée et profondément vibrante. Sa formation en musique classique ne peut être étrangère à cette émouvante prestation pleine de charme et de grâce…

Une pièce évocatrice de nos travers les plus médiocres… et qui nous interpelle, jeunes et moins jeunes, avec simplicité, de façon percutante, et c’est déjà beaucoup !

Fiche Technique

Mise en scène : Ezzedine Sassi et Diane-Charlotte Simon

Avec Garance Brin , Diane-Charlotte Simon, Julien Balthazar, Lionel Laget, Nicolas Centonze, etc.

Adresse : La Folie Théâtre – 6 rue de la Folie – Méricourt Paris 11e

Horaires : jeudi , vendredi , samedi : 19h00 et dimanche : 15h00 (du jeudi 19 mars au dimanche 10 mai)

Tarifs : 20 € et 15 € (réduit)

Réservation : sur le site du théâtre